Au fil des jours,
Périphéries explore quelques pistes -
chroniques, critiques, citations, liens pointus...
Vous pouvez habiter le village le plus reculé, l’asphyxie ne sera jamais purement géographique. Elle sera toujours culturelle, idéologique. Marlyse Pietri est de ces éditeurs qui, sur des territoires exigus, morcelés, confinés, augmentent la densité de fiction et de réflexion au mètre carré, et rendent l’air plus respirable en stimulant la circulation des idées. Pour les vingt-cinq ans de sa maison, les éditions Zoé, établies à Genève, elle se retourne sur son parcours. La petite enseigne non-conformiste, née « des énergies de 68 », est devenue une institution, ouverte et pointue. Marlyse Pietri édite Nicolas Bouvier et Jean-Marc Lovay, Robert Walser et Nicolas Meienberg, Bessie Head et Nuruddin Farah. Une succession de choix sur la corde raide : « La question de l’identité romande flottait au-dessus de ma tête comme une sorte de menace. Je la percevais comme une lutte obligée d’un pays coincé entre la France et la Suisse alémanique. Et pourtant, je n’avais jamais donné à mes plaisirs littéraires les couleurs d’une région. J’ai toujours glané mes lectures selon mes rencontres et mes affinités, avec une prédilection pour la littérature allemande. Mes écrivains préférés se trouvent dans toutes les régions de Suisse, jusque chez les Romanches [le romanche est la quatrième langue nationale, ultra-minoritaire, de la Suisse], en France, en Allemagne, en Afrique, en Amérique du Nord et en Amérique latine. En Laponie aussi. Comment, alors, concilier ce combat singulier, nécessaire à la littérature romande, et vivre mon refus instinctif à livrer une bataille régionale ? J’ai dû traiter chaque cas en soi et selon mes interlocuteurs. »
Elle rend hommage à ceux qui l’ont aidée à voir clair dans cette situation singulière, comme l’intellectuel romanche Iso Camartin : « A le voir agir en intellectuel avisé et diplomate, on avait l’impression de se trouver sur une terrasse panoramique surplombant un paysage helvétique idyllique d’où aurait surgi, au-delà de la beauté naturelle des lieux, le souffle de l’esprit. Iso Camartin considérait toute situation minoritaire comme un lieu où rechercher l’universel plutôt que le particulier. Partager son combat me faisait oublier l’étroitesse du pays et les contraintes d’une situation éditoriale aux confins de l’espace francophone. »
Elle-même sait superbement dépasser les particularismes : « La Suisse est le lieu où apprendre comment faire cohabiter plusieurs langues et cultures, et où s’habituer à vivre sans le secours de l’idée de nation. »
Marlyse Pietri, Une aventure éditoriale dans les marges, Zoé.
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