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« La façon dont on a traité les premières affaires de voile a causé de gros dégâts. Les intellectuels les plus en vue sont intervenus à grand bruit pour dire qu’il fallait se montrer très ferme, alors qu’il aurait fallu au contraire régler les choses tranquillement, négocier, parler, sortir de la confrontation... Ce n’est que comme cela qu’on peut dénouer ces situations. Tandis que là, qu’a-t-on obtenu ? Dans certains cas, on a exclu ces jeunes filles ! Au nom de l’égalité, on leur a interdit l’accès à l’école... Ce qui est quand même un comble ! » Ainsi s’exprimait Marie Rose Moro, responsable de la consultation de psychiatrie transculturelle à l’hôpital Avicenne de Bobigny, en banlieue parisienne, dans un entretien pour la revue Inventaire/Invention, en février dernier. C’était avant que les facéties d’un Nicolas Sarkozy rappelant, devant le congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), en avril, l’obligation de poser sans voile sur les photos d’identité, et se faisant évidemment siffler, ne relancent ex nihilo un débat plus enragé et plus désastreux que jamais sur la question du voile islamique.
Aujourd’hui, alors que les deux adolescentes voilées d’Aubervilliers viennent d’être exclues définitivement de leur lycée, la diffusion par Arte, jeudi soir, du film de Laurence Petit-Jouvet J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau, consacré aux consultations de Marie Rose Moro, est une nouvelle occasion d’attirer l’attention sur la valeur et l’intelligence d’approches comme la sienne. Le film s’intègre dans une soirée Théma intitulée « Soigner par la parole ». Cela tombe bien : la parole, le fait que, indépendamment de sa culture, on soit avant tout un être humain capable de parler avec d’autres êtres humains, et ainsi d’évoluer et de faire évoluer les autres, c’est bien ce que tout le monde semble avoir oublié dans une affaire comme celle d’Aubervilliers. Le père des deux jeunes filles, Laurent Lévy, dans un communiqué diffusé par le collectif Les mots sont importants (eh, oui : les mots sont importants !), affirme qu’il « n’y a jamais eu de “discussion” entre elles et le proviseur du lycée - à moins d’appeler “discussion” un discours unilatéral se bornant à affirmer que leur tenue était interdite (...). Personne parmi ceux qui ont pris la décision ou y ont contribué n’a cherché à savoir ce que pensaient ces élèves ». A croire que l’extrême gauche, très active pour obtenir leur exclusion, a fait sienne elle aussi l’antienne sarkozyenne sur les vertus de la « fermeté ». Bienvenue dans un monde où chacun s’enorgueillit de son refus de penser. Qu’on puisse prétendre incarner l’humanisme alors qu’on renonce délibérément au fondement même de toute vie en société, la confiance dans la parole, taxée avec une bêtise crasse d’« angélisme », a de quoi laisser pantois. « Le racisme, c’est ne pas voir les situations singulières derrière une appartenance », disait encore Marie Rose Moro : si elle a raison, ça fait du monde... Quiconque s’imagine qu’une telle attitude peut mener à autre chose qu’à une croissance exponentielle de l’incompréhension, de la rancœur et de la violence se fait à notre sens beaucoup d’illusions - on aura bientôt l’occasion d’en reparler ici même grâce à un entretien avec Annie Leclerc.
En attendant, ceux qui auront la curiosité de regarder J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau ou de lire les livres de Marie Rose Moro découvriront qu’il suffit parfois de pas grand chose - un minimum d’ouverture, de bienveillance et de sérénité - pour dénouer une situation de conflit ou de souffrance. Autrement dit, pour que la montagne de la différence culturelle accouche de la souris de la proximité humaine.
J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau, un film de Laurence Petit-Jouvet, jeudi 16 octobre, Arte, 23h40.
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