Périphéries

Carnet
Mai 1999

Au fil des jours,
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[17/05/99] Flamboyance
Tout sur ma mère, de Pedro Almodovar

Comment fait cet homme pour nous déverser à la tonne de l’amour, du drame, du pathos, de la compassion, sans jamais être mièvre une seconde ? Tout sur ma mère est le grand œuvre de Pedro Almodovar, la synthèse et le dépassement de tout ce qu’il a fait auparavant. Avec cet immense film sur la transmission, sur la circulation de la vie, sur l’appropriation et l’échange des rôles, des identités, il accède définitivement à l’universel. Chamboulé de fond en comble par sa démesure, par son souffle, par son intelligence généreuse, on en ressort les tripes en marmelade, le mouchoir abondamment imbibé. Et on se rassure en lisant les confidences du maître à Télérama (19 mai 1999) : « Certaines scènes, je les écrivais les larmes aux yeux et les entrailles nouées. C’est comique mais c’est vrai. Ça me rappelle l’héroïne d’A la poursuite du diamant vert, auteur de romans à l’eau de rose et qui pleure devant ce qu’elle invente. Je me dis que peut-être je ressemble à cette femme-là. Heureusement, quand on écrit, on est seul... » Tout sur ma mère relègue au rang de boursouflure frigide et maniérée Bleu, de Kieslowski, autre film sur le retour à la vie d’une femme qui a tout perdu. Chez Almodovar, les actrices sont chez elles, et cela se sent. Elles donnent le meilleur d’elles-mêmes, à commencer par Cecilia Roth et Marisa Paredes, inoubliables. « J’ai envie de réagir contre le cinéma américain, où les personnages masculins exercent une suprématie absolue et où les femmes ne sont que des faire-valoir, disait Almodovar aux Inrockuptibles (19 mai 1999). C’est incroyable le nombre de films avec deux hommes comme héros : Nicolas Cage avec Untel, Robert de Niro avec Untel, Sylvester Stallone avec un autre... Ce type de films m’ennuie au plus haut point. Et quand ce ne sont pas deux hommes, il y a Sharon Stone, qui est aussi un homme. »

P.S. La mère de Pedro Almodovar n’intervient en rien dans Tout sur ma mère, mais elle a fait auparavant des apparitions dans plusieurs films de son fils : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, Femmes au bord de la crise de nerfs, Attache-moi !, et surtout Kika. Dans Kika, elle présente une émission littéraire depuis sa cuisine, une pile de livres posée entre le chorizo et le fromage local. Dans un livre d’entretiens avec Frédéric Strauss, des Cahiers du cinéma, Almodovar racontait :

« Elle est actrice sans le savoir. Mais je la dirige. Quand, dans Kika, elle abandonne la lecture de ses notes et commence à parler des longs hivers au village, tout a été écrit et appris, ce n’est pas de l’improvisation. Elle a quelque chose de merveilleux : une grande spontanéité et aucun respect pour la caméra, jouer ne lui semble pas un travail sérieux, c’est pour ça qu’elle le fait très bien.
- Elle a vu
Kika ?
- Non, elle n’a pas besoin de voir mes films, elle s’en fiche. En fait, je crois qu’elle tourne avec moi pour l’argent ! Elle me demande toujours combien elle va être payée et dès qu’elle a fini sa scène, elle veut toucher son cachet. C’est merveilleux ! Pendant le tournage de
Kika, un chauffeur allait la chercher au village où elle vit toujours, surtout en été, pour l’amener sur le plateau. Dès qu’elle arrive, elle se comporte avec les gens de l’équipe comme avec ses voisins du village. Elle leur dit de prendre soin de moi, qu’il faut que je mange, et c’est aussi ça qui la fait devenir un vrai personnage de mes films. Elle a une vie rurale très active, ses voisines sont presque toutes veuves aussi, mais elle est la seule qui ait fait du cinéma. C’est une situation très insolite mais très réelle. J’aimerais bien faire un film sur un personnage comme elle. »

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Cinéma
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* Beaucoup de fantômes, peu de menace - 7 octobre 1999
* Le fond de l’air est rouge - Robert Guédiguian, cinéaste - janvier 1998
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Périphéries, 17 mai 1999
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