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Chanteur et poète à l’univers aveuglant de tendresse et de révolte, Louis Arti était mineur en Lorraine, jusqu’à ce que ses copains se cotisent pour qu’il puisse se consacrer au chant et à l’écriture. Depuis, il enregistre des disques et anime des ateliers d’écriture de chansons dans les écoles. Entre le chant et le cri, sa voix tempétueuse dérange ou prend aux tripes, ou les deux. Elle est celle d’un écorché vif. La Macaronade, Petit bestiaire d’El Halia, Rebelles de jour, rebelles de nuit, et surtout Le Maladroit de l’homme... Autant de titres inoubliables.
L’album qui sort aujourd’hui, Rue des quatre coins, semble plus apaisé, sans qu’il ait rien perdu de sa vitalité enragée, incisive (« Les bourgeois ont c’qui brille / Et les pauvres le plastic », chante-t-il dans La sœur de Tayeb). Il l’a enregistré lors d’une résidence à la scène nationale Le Channel, à Calais, et il est tout entier dédié à la ville et à ses habitants. « C’était beau sans le faire exprès », chante-t-il : Arti est le poète du prosaïsme, qui chante la vie ordinaire, celle des passants, de tous les anonymes (« Où est la rue Ahmed Balayeur ? Où est la rue Marcel Eboueur ? »), qui tire des éclats de beauté des univers les plus banals, les plus glauques, et les éclaire en chantant l’amour comme personne (« Deux tranches de mandarine ta bouche / Ma langue qui mouille mes lèvres sèches / Les petits mots gentils qu’on lèche / Avant que l’on se touche »). La dernière chanson, Quartier d’Oran, quartier d’orange, est le résultat d’un atelier d’écriture à l’école Oran-Constantine, et est chantée par les élèves eux-mêmes.
Arti est né en Algérie, dans un petit village, El Halia, où son père, d’origine italienne, était boulanger. Il y a vécu une enfance heureuse et facétieuse, jusqu’au jour du 20 août 1955, où le massacre des habitants d’El Halia par les fellaghas fut l’un des détonateurs de la guerre d’Algérie. « Mon père fut tué. Ma mère reçut un coup de couteau au bras droit. Mon village fut brûlé. Comme des oranges, les souvenirs s’écrasent aussi dans ma tête. » L’armée française n’arriva sur les lieux que trois heures et demie plus tard. Un soldat fit approcher le petit Louis, alors âgé de dix ans, et, pointant sa mitraillette sur les prisonniers arabes regroupés dans le préau de l’école, lui demanda : « Lequel tu veux, petit, lequel ?!... » L’enfant s’enfuit à toutes jambes. « Il court toujours », commente le metteur en scène Jean-Louis Hourdin, dont la troupe a joué en 1995 El Halia, Dix ans du matin, le texte d’Arti sur son enfance. Ce récit au style brut et généreux, débordant d’humour, aux images évocatrices et sensuelles, est publié aux éditions Comp’Act. On espère remettre bientôt la main sur l’ami Arti, pour nos Gens de bien...
Louis Arti et L. Quintet, Rue des quatre coins, produit par Le Channel, Scène nationale, Calais. Photo de Louis Arti : Francis Vernhet pour les éditions Comp’Act.
Voir aussi les guillemets aux rubriques Enfance (deux citations) et Etrangers.
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