Périphéries

Trallalero genovese - Polyphonies génoises (4/12)

« Nous serons leur pire cauchemar »

Fermé pour cause de G8. « Voici quelques indications sur ce qui ne se visite pas pendant cette période :
- Le Port antique : pas mal, mais il n’existe plus. L’endroit sur lequel Gênes a fondé, pendant des siècles, sa grandeur -de nombreux restes archéologiques ont été trouvés avant d’être ensevelis de nouveau- a été définitivement rasé et transformé en Expo, un parc de divertissement sans histoire. Parmi les attractions, le célèbre aquarium et, depuis quelques jours, une très très coûteuse Bulle Technologique ainsi qu’une palmeraie grotesque importée d’Egypte. Le tout pour le moment à disposition exclusive de Bush et de ses amis.
- Le Palais San Giorgio : moitié gothique, moitié Renaissance, réinventé par une restauration hallucinante à la fin du XIXe siècle, restauré il y a quelques années entre ses façades criardes et ses sévères façades médiévales. Erigé en 1260, avec la tentative (avortée) d’en faire le palais communal, le bâtiment a hébergé, du XVe siècle à Napoléon, la Banque de San Giorgio et, aujourd’hui, il accueille l’autorité portuaire. On dit que le Vénitien Marco Polo, prisonnier, y a écrit Le Million.
-  Les Arcades de Sottoripa : ce sont les arcades publiques les plus anciennes d’Italie, témoignage du bon gouvernement des consuls de l’antique commune, qui, en 1133, établirent l’obligation, faite aux propriétaires de maisons donnant sur le port, de construire et d’entretenir à leurs charges une telle structure d’intérêt collectif. Beaucoup de ces arcades, fermées par des morceaux de tonneaux, forment, dans une ambiance de bazar d’outre-mer, une stupéfiante galerie commerciale. »
Miniguide rapide de la Ville Interdite (I), édité par le Forum permanent des associations et des citoyens du « Centre historique » de Gênes, reçu le 14 juillet, sur le Campetto.

Un imaginaire de vie. Lundi 16 juillet, dans une caserne génoise, un gendarme a ouvert une lettre piégée. Il est gravement blessé ; l’onde de choc traverse la ville. « Quel âge as-tu ? », demande la journaliste. « Vingt-neuf ans », répond le jeune communiste de Rifondazione pris sous les feux des projecteurs dans les locaux du Genoa Social Forum. « Vingt-neuf ans, reprend du tac au tac la journaliste. Ecoute, le gendarme qui a été blessé par la bombe avait vingt-et-un ans. Tu veux lui adresser un message ? » Et elle braque son micro sous le nez de son interlocuteur, hoche la tête pour l’encourager. « Cet épisode est monstrueux, avance-t-il. Ce genre de choses ne sert que les services secrets et le gouvernement. » La journaliste le coupe brutalement : « Oui, mais qu’est-ce que tu lui dis, au gendarme qui est sur son lit aux urgences ? » Le jeune bredouille : « Je suis vraiment désolé pour lui. C’est ignoble de faire cela. Mais maintenant, vous allez me laisser terminer mes phrases. En fait, c’est une bombe contre nous. Notre imaginaire à nous est un imaginaire de vie, notre monde à nous est un monde de vie. En revanche, les huit qui vont se réunir lors du G8 sont dans une logique inhumaine, celle des multinationales qui dirigent tout, avec l’appui des appareils d’Etats pour la répression. » La reporter fait un signe à son cameraman. « Merci, au revoir », dit-elle en partant en quête d’une bonne âme qui accepte de s’apitoyer sur le sort du gendarme sans émailler son discours de considérations politiques.

Lettre aux indécis de la Forêt Europe. « En attaquant ce mur. Avec des dirigeables, des ballons, des avions de papier, nous creuserons un passage, nous le percerons de quelques centimètres pour laisser passer au travers notre colère et notre espoir. Il y a des moments de l’Histoire dans lesquels la justice et la liberté sont aussi des problèmes de centimètres. Ce petit passage sera un signe. Ce sera une percée au poste de douanes des exclusions. A travers cet interstice, nos frères et sœurs immigrés, exclus d’une vie digne, passeront. Les quatre cinquièmes de l’humanité, relégués dans les zones de pauvreté et de guerre, passeront ; la Terre qui ne se résigne pas à l’idée de crever passera ; nous, avec nos vies précaires et d’exploités, nous passerons. Notre “Maintenant, ça suffit !” passera. Nous serons leur pire cauchemar. Il n’y a pas de zone rouge qui puisse protéger les responsables de la misère. Il n’y a pas de citadelles fortifiées dans lesquelles ils puissent se barricader. Le monde ne sera jamais assez grand pour qu’ils puissent trouver un trou dans lequel se cacher. C’est à nous de démontrer tout cela à Gênes, les 19, 20 et 21 juillet de l’an 2001. »
Capitaine Gert du Puits, héros de L’Œil de Carafa (Seuil), écrit sous le pseudonyme de Luther Blissett par plusieurs écrivains italiens, militants au sein des Tute Bianche, publié initialement par la Wu Ming Fondation et, en français, par L’Humanité, le 20 juillet.


« Assassins, assassins », crie la foule à l’insecte,
photo de Thomas Lemahieu

Comment casser un cortège de 300.000 personnes en deux ?
13h35 : la tête du cortège défile sur le Corso Italia à la hauteur du restaurant de Punta Vagno.
14h00 : les premières files des manifestants viennent de prendre la Via Rimassa. Dans la zone de Piazzale Kennedy, Piazzale Cavalieri di Vittorio Veneto et de Piazza Rossetti, quelques dizaines de blacks, en petits groupes, commencent à renverser les poubelles pour construire des barricades. D’autres blacks mettent le feu, l’un après l’autre, les banques et les magasins sur la Piazza Rossetti.
14h20 : la police expédie des salves nourries de lacrymogènes. Des barricades partent quelques cocktails molotov ; d’autres groupes, disséminés, lancent des pierres sur les agents.
14h50 : de la zone des affrontements, s’élève, depuis plus d’une demi-heure, un nuage impressionnant de fumée blanche -gaz lacrymogène- et noire -la banque incendiée, des automobiles et d’autres choses en train de brûler. Quatre vedettes de la police, au moins, patrouillent en mer à proximité de la zone des affrontements. Ces agents ne mettront pas pied à terre une seconde. Alors que les affrontements se rapprochent de l’angle entre le Corso Marconi et la Via Rimassa, on fait dévier le cortège juste avant, dans une rue parallèle, la Via Casaregis.
15h45 : les tirs de lacrymos continuent de manière ininterrompue et toujours plus intense. Une heure et demie plus tard, Alfredo, ouvrier employé à la logistique sur le Piazzale Kennedy, nous a raconté ceci : « Les blacks étaient divisés en petits groupes , ils se déplaçaient très vite dans toute la zone. Ils lançaient des pierres et quelquefois des cocktails molotov sur la police. La police ne les a chargés à aucun moment, mais se contentait de ses invraisemblables tirs de lacrymogènes, sans doute pour élaborer les images nécessaires à entretenir le climat de guérilla urbaine et à justifier ainsi la mort de Carlo Giuliani. A un moment quatre ou cinq blacks sont venus ici, derrière ma tente. Ils ont commencé à tirer des pierres vers les policiers qui se trouvaient tout près à l’angle de la Via Casaregis. Les agents ont riposté en envoyant des lacrymos vers eux. Après, ils en ont envoyé une en plein milieu du cortège. De là, dans le cortège, ils ont commencé à entonner des slogans et deux-trois pierres ont été lancées. Du coup, c’est une véritable pluie de gaz lacrymogène qui s’est abattue au beau milieu du cortège. Les policiers attendaient la première occasion pour tirer et je crois qu’ils se sont petit à petit approchés du cortège dans ce but. S’ils avaient vraiment voulu arrêter les blacks, en une heure et demi, ils auraient vraiment pu le faire. »
16h : les tirs de lacrymogènes sur les trois places cessent à l’improviste et maintenant, la police tire sur le cortège stoppé devant le restaurant de Punta Vagno.
16h30 : les tirs en direction du cortège s’arrêtent. La police, avec une dizaine de chars, charge sur le Corso Italia. C’est une charge très violente. Les manifestants distanciés par le gros des troupes qui recule lèvent les mains en l’air. Ils sont frappés sauvagement. Beaucoup d’entre eux seront arrêtés, les blessés ne seront embarqués dans les ambulances qu’après avoir bien ressenti la furie des agents.
Notes d’observation publiées par l’hebdomadaire Carta

BBC News. Il a une chemise à manches courtes (parce que c’est le Sud et qu’il fait chaud), une cravate (parce que, quand même, c’est de la télé, coco) et un foulard (parce que ça gaze lacrymogène), des lunettes de soleil vissées sur le crâne, et le badge officiel, son badge de journaliste, son sésame ouvre-toi, bien en vue sur le torse. Le grand reporter de la BBC fait un direct dans la zone des affrontements. Derrière moi le déluge : « Pour l’heure, Steve, nous ne savons pas si la rencontre du G8 pourra aller jusqu’à son terme », conclut-il son intervention. Bill, on parie qu’il va jusqu’à son terme, le G8 ?

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A suivre :
Trallalà, trallalà,
polyphonies
génoises (5/12)
Périphéries, août 2001
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