Périphéries

Trallalero genovese - Polyphonies génoises (11/12)

« Le plan le plus invivable et fou qu’un pouvoir ait jamais imaginé »

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Dans la zone rouge de honte, photo de Thomas Lemahieu

Gênes et le nouvel ordre mondial. « La première question à se poser à propos de ce qui vient d’arriver à Gênes, c’est : Pourquoi les leaders des Etats les plus riches et les plus puissants ont-ils choisi de tenir leur réunion si contestée, non pas dans un lieu isolé - un château ou une de ces grandes demeures en pleine campagne qui ne sont pas bien difficiles à trouver en Europe -, mais dans une ville antique et populeuse, où les problèmes d’ordre et de sécurité étaient si importants qu’ils réclamaient la mise en place de moyens et de forces qui allaient nécessairement troubler la paix des habitants et impliquer des risques en tout genre. Pourquoi placer inutilement une grande ville en état de siège ? Pourquoi ce gaspillage d’énergie et d’argent ? Pourquoi, enfin, avoir créé les conditions dans lesquelles des vies humaines risquaient d’être sacrifiées ?
Je ne vois pas d’autres réponse possible que celle-ci : il s’agissait encore une fois de mettre à l’épreuve les nouvelles formes de domination mondiale et les nouveaux dispositifs qui sont en train de transformer radicalement et sous nos propres yeux ce que nous avons jusqu’ici appelé “politique” et “démocratie”. Pendant la Guerre du Golfe et pendant la récente guerre de l’OTAN contre la Serbie, il s’agissait de vérifier jusqu’à quel point le nouveau pouvoir mondial était capable de bouleverser les règles du droit international, transformant une guerre extérieure en une opération de police ; aujourd’hui, il s’agit de vérifier jusqu’à quel point il est possible de transformer et de renverser les règles du droit intérieur et les principes fondamentaux de la vie dans une société démocratique. On ne comprend pas ce qui vient d’arriver à Gênes, si on n’observe pas qu’exactement comme au moment de la guerre contre la Serbie, notre pays a été entraîné dans une guerre sans que les procédures prévues par la Constitution et par le droit international soient respectées, qu’une ville entière a été mise en état de siège et que les droits fondamentaux des habitants - et des citoyens italiens et européens en général -, gravement limités, sans que l’état d’urgence soit décrété - ce qui aurait pu légitimer, sans justifier mais bon, ces limitations. [...]

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Cité interdite, ville morte, photo de Thomas Lemahieu

A Gênes, on a vu comment on peut élever des grilles et des portails et transformer le tissu urbain vivant en un espace mort qui rappelle celui des villes pestiférées et des camps de concentration. “Voilà la ville, voilà le monde dans lequel nous allons vous faire vivre, dans lequel, même si vous ne vous en êtes pas encore rendus compte, vous vivez déjà” : c’est celui-là, le message qu’à Gênes, le pouvoir a lancé à l’humanité. C’est à l’humanité de l’entendre, ce message, c’est à nous de réussir à penser les réponses à lui apporter. Nous devons réagir à ce qui est peut-être, après le projet nazi d’un nouvel ordre mondial, le plan le plus invivable et fou qu’un pouvoir ait jamais imaginé pour ses sujets. »
Giorgio Agamben, philosophe, dans il manifesto du 25 juillet.

Sur les murs, dans les quartiers dévastés. « Faisons l’Intifada », « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », etcaetera, etcaetera, « Liberté pour le Pays Basque », « Et la Kabylie », « Faisons l’Intifada », « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », « Liberté pour le Pays Basque », etcaetera, etcaetera, « Et la Kabylie », « Faisons l’Intifada », « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », « Liberté pour le Pays Basque », « Et la Kabylie », « Faisons l’Intifada », etcaetera, etcaetera, « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », « Liberté pour le Pays Basque », « Et la Kabylie », etcaetera, etcaetera, « Faisons l’Intifada », « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », etcaetera, etcaetera, « Liberté pour le Pays Basque », « Et la Kabylie », « Faisons l’Intifada », « Non au Kapital », « Vive Oussama Ben Laden », « Tuer les flics, c’est servir Jésus », « Liberté pour le Pays Basque », « Et la Kabylie » etcaetera, etcaetera. Et « Berlusconi, assassin ».

Le grand n’importe quoi. « Certains d’entre nous voulaient aller vers la zone rouge et les autres attendre un improbable train avec des autonomes dedans qui devait arriver en milieu d’après-midi. L’attente provoquée par ces tergiversations a permis aux policiers de mettre en place leur dispositif d’encerclement. La désorganisation aidant, certains ont commencé à partir n’importe où, à casser sans discernement ce qui leur tombait sous la main. Cela devenait n’importe quoi. Certains démolissaient des cabines téléphoniques, d’autres voulaient s’en prendre aux militants des syndicats de base (Cobas) et aux jeunes des centres sociaux du Réseau pour les droits globaux, qui défilaient non loin de là. Tout ceci me paraît étrange, parce que, d’ordinaire, les membres du Black Block parlent avec les autres manifestants et, en aucun cas, ne les agressent. En fin de compte, sous la pression du dispositif policier, notre cortège a éclaté et nous nous sommes dispersés. Beaucoup ne savaient pas où ils allaient. Ce qui me paraît le plus bizarre, c’est que devant, il y avait quand même une dizaine de mecs cagoulés qui parlaient plusieurs langues et qui eux avaient l’air de savoir où il fallait aller. »
Témoignage anonyme d’un activiste français désireux de participer aux « actions les plus radicales » lors de la contestation du G8, L’Humanité, le 28 juillet.


Les bateaux des maîtres du monde, photo de Thomas Lemahieu

La couleur de la cendre. C’est l’heure de la promenade sur le front de mer. Et ils sont venus voir de leurs propres yeux ce que la télé montre en boucles depuis deux jours. En couple, seul ou seule, avec des copines et des copains. La plupart ont apporté le caméscope ou l’appareil photo. Ils immortalisent le saccage en soupirant, en pestant. « C’est une honte, c’est une honte, ils savaient que ça finirait comme ça et ils auraient dû ne pas la faire, cette manifestation », glisse un petit vieux à sa petite vieille. Sur le Piazzale Kennedy, à quelques mètres du « centre de convergence » des manifestants anti-G8, les autorités ont soigneusement évité de nettoyer les dégâts. Mieux, elles ont organisé l’exposition sur le mode : « Vérifiez par vous-mêmes, nous avons dû faire face à une guérilla urbaine ». Cinq carcasses des voitures brûlées trônent, empilées, au milieu de la chaussée. Le verre brisé des vitrines des banques et des concessionnaires automobiles jonche encore le sol. Les passants se penchent à l’intérieur des magasins dévastés, comme pour examiner la couleur des cendres.

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Le Palazzo Ducale, la nuit, photo de Guido Romeo

Communiqué de presse. En rappelant que des milliers d’anarchistes ont pris part à la protestation pacifique contre le G8, nous précisons que
- 1. Rien ne nous rapproche des « anarchistes » du « Black Block » et des typologies analogues. Chacun peut se qualifier ou être qualifié d’anarchiste : nous regardons les comportements, et non les étiquettes ;
- 2. Chacun doit assumer ses propres responsabilités. Exactement le contraire de la pratique injustifiable qui consiste à accomplir des violences pour, ensuite, se réfugier parmi les autres manifestants et les exposer aux attaques brutales des forces de l’ordre ;
- 3. Notre manière d’être présents dans le conflit social s’inspire des valeurs exprimées pendant plus d’un siècle d’histoire du mouvement anarchiste organisé, né au sein de la Première Internationale et développé ensuite dans les luttes syndicales, antifascistes, pour la défense des libertés individuelles et collectives. Nous considérons que la violence sans discernement et le terrorisme (psychologique aussi) sont des instruments fonctionnels du pouvoir, et certainement pas de ceux qui veulent réaliser sans coercition une profonde transformation sociale d’empreinte libertaire. Ce sont des instruments que le pouvoir utilise, comme à Gênes, pour éliminer les espaces de liberté et d’intervention politique. Ceux qui envoient des lettres piégées, ceux qui mettent la ville à feu et à sang, avec la complicité tolérante des forces de l’ordre - inversement si actives envers les manifestants pacifiques -, n’ont rien de commun avec nous, indépendamment d’éventuelles étiquettes semblables.

Les militants du cercle libertaire Pisacane de Bassano del Grappa, des Archives historiques de la fédération anarchiste italienne d’Imola, du cercle anarchiste Ponte della Ghisolfa de Milan, de la revue A de Milan, et de la coopérative Alekos de Milan, le 23 juillet.

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Périphéries, août 2001
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