Périphéries

Trallalero genovese - Polyphonies génoises (9/12)

Garlic for peace

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Nando et Jacopo remontent vers la manifestation des sans-papiers, photo de Thomas Lemahieu

Nando et Jacopo. Ils vivent dans la zone de Marassi, pas très loin du stade de la Sampdoria, un quartier populaire comme on dit, pauvre comme on ne dit pas. Ce sont deux communistes dans la force de l’âge, bon pied bon œil. Nando porte, sous le bras gauche, l’édition du jour - le 19 juillet - de Liberazione, le quotidien de Rifondazione comunista. Ils sont venus dans les ruelles du centre historique voir si les choses avaient changé. Et ils remontent pour gagner la place étroite où la première manifestation, organisée par le Genoa Social Forum, pour la libre circulation et « pour les migrants », doit partir. Nando et Jacopo agitent les bras vers le centre historique : « En fermant la zone rouge, on a expulsé tous les sans-papiers du centre historique et ils ne pourront pas rentrer chez eux sans payer des loyers exorbitants », expliquent-ils en chœur. Plus loin, après un café avalé ensemble dans le tohu-bohu d’un bar pour jeunes étudiants en architecture, Jacopo dira que son père est mort à Rome un mois plus tôt, que, malade depuis des années, il était veillé et soigné par une jeune fille polonaise, et qu’aujourd’hui, elle ne voulait pas regagner l’Est, mais qu’elle risquait bien de plus avoir le permis. Pas de compassion lointaine chez Jacopo : il manifeste aujourd’hui pour les droits de cette petite Polonaise inconnue. Nando, de son côté, raconte comment, quand il était petit pendant la Guerre, il crachait sur les Allemands.

Heil Berluska ! Le petit M. M. a perdu son portefeuille vendredi 20. Il peut toujours tenter de le récupérer auprès des journalistes de Carta. Il retrouvera ainsi sa carte d’élève à l’école turinoise de gendarmerie et sa photo préférée de Benito Mussolini.

« Fermé pour cause de G8 ». Voici quelques indications sur ce qui ne se visite pas pendant cette période.

- La Via San Lorenzo : elle coupa la vieille ville, à la moitié du XIXe siècle, afin de rendre plus commode la circulation du port vers l’est. Ces jours-ci, axe central de la zone rouge (qui se poursuit sur les côtés de la Via XX Settembre), elle scinde en deux toute la ville moderne pour assurer le bon déroulement du G8 et la rogne globale de tous ceux qui en sont exclus. Récemment, elle a fait l’objet d’une restauration totale qui, malgré quelques choix discutables, a restitué à tous une des plus belles rues de la ville, rendue piétonne qui plus est. Devant aujourd’hui ne pas la parcourir, il est préférable de ne pas la parcourir de la mer aux hauteurs plutôt que dans le sens contraire : de cette manière, on peut s’énerver beaucoup plus en imaginant qu’on ne jouit pas de la séquence de scènes surprenantes qui se déroulent pas à pas quand on monte, et qui sont moins spectaculaires quand on descend.
- La Via di Canneto il Curto : un des carrugi [les ruelles étroites en ligure] principaux, parallèle à l’arc portuaire qui, du noyau urbain des origines, sur la droite, file vers la gauche vers la plaine padane ou la France, en changeant tout le temps de noms (parmi ces noms, il y a Via del Campo, chantée par Fabrizio de André). Des deux côtés, après quelques mètres, Canneto sort de la « zone rouge », devenant ainsi accessible à tous et partant, dans un dédale de ruelles, à la découverte de merveilles, comme par exemple, sur la droite, Santa Maria di Castello, San Cosimo, San Donato et une myriade de placettes et de palais nobiliaires, ou, sur la gauche, d’autres demeures patriciennes et des églises comme Santa Maria delle Vigne, San Luca, San Siro, jusqu’à la monumentale et somptueuse Strada Nuova du XVIe siècle (aujourd’hui Via Garibaldi) et de la Via Balbi du XVIIe siècle. N’oubliez pas de monter (à pied, en autobus, ou mieux encore s’il fonctionne, avec l’ascenseur de la Piazza Portello) jusqu’au Belvédère de Castelletto : il y a un panorama à vous couper le souffle sur toute la vieille ville (au moins, avec les yeux, on a encore le droit de l’englober toute). La fonction première de Canetto - relier tous les quartiers de Gênes - est suspendue pour le moment. Comme si pour aller de Rome à Ostie, plutôt que de prendre la Via del Mare, on devait passer par Milan.

Miniguide rapide de la Ville Interdite (II), édité par le Forum permanent des associations et des citoyens du « Centre historique » de Gênes, reçu le 14 juillet, sur le Campetto.

De l’art humanitaire. En date du 19 juillet 2001 sur la plage publique de Punta Vagno dans la ville de Gênes, aura lieu la performance : Garlic for peace. La phase préliminaire est prévue à 11 heures dans le lido d’Albaro, avec le débarquement d’un pneumatique rempli de sacs d’ail qui seront triés par les personnes chargées de la distribution. De là, ils les transporteront dans des carioles aux différents points d’accès à la zone rouge. Pendant trois jours, ces chargés de mission distribueront gratuitement l’ail aux habitants de la zone rouge qui passeront les check points. La performance s’achèvera le 22 juillet 2001. Il faut considérer la performance comme une action humanitaire symbolique qui a pour but de donner du souffle à la population de la zone rouge, otage de la situation créée à cause du G8. Cette performance a été conçue parce que nous avons pris connaissance de la rumeur qui veut qu’à l’occasion du G8, il sera impossible de consommer, de trouver, d’acheter de l’ail de n’importe quelle sorte, cuit, cru, frais ou déshydraté, seul ou à l’intérieur d’un plat comestible. La première conséquence de cette rumeur, c’est la tendance à l’accaparement, à la confiscation et à la raréfaction d’une des modalités essentielles d’appartenance à la ville : le pesto sous toute ses formes. Tous ceux qui veulent participer à cette performance peuvent, en signe de solidarité avec les habitants de la zone rouge, apporter à Gênes une tête d’ail et diffuser auprès des proches la nouvelle, devenant ainsi l’auteur, parmi d’autres, d’une des premières performances de l’Humanitarian Art.
Communiqué de presse du groupe artistique Ferrario Frères le 15 juillet.


Sur le campetto, le Rete contro il G8 met des linceuls noirs, photo de Thomas Lemahieu

Horreur : de l’ail ! Le Corriere della Sera du 13 juillet détaille les différents menus des maîtres du monde. De la cuisine allégée, et les chefs ligures ont été priés d’écarter les saveurs « trop fortes » : ainsi, le pesto génois, fruit du mariage du basilic, de l’ail, des pignons et du parmesan, est irrévocablement banni et remplacé par une sauce au basilic.

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Périphéries, août 2001
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