Périphéries

Trallalero genovese - Polyphonies génoises (6/12)

« Une répression calmement planifiée dans un bureau »

The « Barilla Blue Night - Pasta Party ». « You’re American ? », s’enquiert le gamin. Le journaliste opine du chef. « And you want to taste the true Italian pasta ? Come tonight ! We’ll eat and dance. » « Une soirée consacrée au plat national italien, pimentée par les musiques typiques des pays participants au sommet », promet le programme aux journalistes. Et c’est vrai : un orchestre pédale dans le minestrone, une musique légère des ascenseurs de Tokyo, Ottawa, Paris, Berlin, Bruxelles, Washington, Rome, Moscou et Londres, pendant qu’une centaine de grands gaillards - que des hommes - bâfrent. A quelques kilomètres de là, sur les hauteurs, dans les écoles Diaz et Pertini, au siège du Genoa Social Forum, une autre party se prépare. Des centaines d’hommes, déguisés en policiers et en gendarmes, claquent les matraques sur leurs boucliers. Ce sont des vampires, et ils viennent pour le bal.

A quoi sert la culture ?
« Nous avons travaillé
comme dans un hôpital de fortune
après la bataille.
C’était comme si
une bombe venait d’exploser.
A un certain point,
nous avons épuisé
notre provision d’attelles
et nous avons dû improviser.
On a utilisé les couvertures rigides
des manuels scolaires
qu’on a trouvés dans l’école
pour immobiliser les os fracturés. »
Témoignage de Paolo Cremonesi,
médecin-chef à l’hôpital de Voltri qui a coordonné les premiers secours
après le « blitz » dans les écoles du Genoa Social Forum,
recueilli par La Repubblica, le 31 juillet.

L’avocat à la gueule cassée. Il est jeune, il vient des Pouilles, dans le sud de l’Italie, il est avocat et il était à Gênes lors des manifestations contre le G8. Volontaire pour prêter ses services juridiques au Genoa Social Forum, observateur pacifique et engagé. Et il a fini sur le front de mer, couché sur le dos, les jambes en l’air, torse et visage écarlates, rouges de sang. Il s’appelle Stefano Palmisano ; il a fait la Une de Liberazione et de L’Humanité.

- Si cela n’est pas trop pénible, pourriez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé à Gênes la semaine dernière ?

Stefano Palmisano. Il était à peu près 16 heures. Je me trouvais sur le bord de mer, à Punta Vagno, où se sont déroulées toutes les rencontres du Genoa Social Forum. Le cortège était absolument pacifique. Il y avait plein de femmes et de personnes âgées. Pas la moindre trace de Black Blocks parmi nous. Non seulement elle n’avait aucune intention belliqueuse, cette foule, mais elle n’était même pas capable d’opposer une quelconque résistance. A un moment, la police a commencé à nous tirer dessus une impressionnante quantité de grenades lacrymogènes. Même les hélicoptères qui volaient à basse altitude ont commencé à lâcher du gaz lacrymogène au-dessus de nos têtes. L’air était âcre. On ne voyait plus rien et beaucoup de manifestants n’arrivaient même plus à respirer. Et puis une charge très violente a été déclenchée. Un véhicule blindé fonçait comme un fou sur le trottoir. Les gens étaient terrorisés. Beaucoup pleuraient comme des gamins. Certains fuyaient dans toutes les directions pour échapper à la furie des agents.

- En tant qu’avocat, avez-vous essayé d’intervenir auprès de celui qui commandait cette charge ?

S. P. Oui, c’est ce que j’ai fait. J’ai remonté le cortège pour m’approcher de l’endroit où était concentré le gros des troupes policières. Du reste, je portais un autocollant, bien visible, sur lequel on pouvait lire que j’étais avocat. Quand je suis arrivé à la hauteur du mur visible sur la photo, un troupeau de taureaux en uniforme s’est rué sur moi. Ils m’ont tapé comme des malades. Je ne me souviens pas combien de coups j’ai dû encaisser. Ils ne disaient rien. Ils me rouaient de coups mécaniquement, comme s’ils avaient été hypnotisés. Ils m’ont pulvérisé du liquide urticant sur le visage. A un moment, je suis tombé par terre, mais je n’ai pas perdu connaissance. J’avais vraiment très très peur.

- Après le tabassage, ils vous ont arrêté ?

S. P. Par chance, non. Une ambulance m’a emmené à l’hôpital San Martino. Là, les médecins ont diagnostiqué un fort traumatisme crânien et ils m’ont fait dix points de suture à la tête. Même si c’était une maigre consolation, j’étais content de voir le personnel des urgences solidaire des manifestants tabassés par la police.

- D’après vous, pourquoi les forces de l’ordre se sont-elles déchaînées contre les personnes les plus désarmées ?

S. P. Plutôt que de « forces de l’ordre », je parlerais de « bandits en uniforme ». J’ai lu dans certains journaux que ces policiers auraient été dépassés par la nervosité accumulée pendant les jours précédents. Il n’y a rien de plus faux. Ce que nous avons vu à l’œuvre à Gênes, c’était une répression calmement planifiée dans un bureau et qui contenait un message précis.

- Lequel ?

S. P. C’est une intimidation à l’empreinte fasciste qui veut dire au mouvement : « Restez chez vous, ne descendez pas dans la rue, c’est dangereux. » J’ajoute qu’en s’en prenant aux journalistes et aux avocats, les différents corps de police ont voulu frapper la liberté d’information et la défense des droits constitutionnels élémentaires. D’ailleurs, Silvio Berlusconi et Claudio Scajola [ministre italien de l’Intérieur, Forza Italia] ont tout de suite revendiqué ces tabassages au Parlement. Le sens de toute cette opération est véritablement sans équivoques.
Entretien avec Stefano Palmisano, propos recueillis par Daniele Zaccaria, publié dans Liberazione et, en français, dans L’Humanité le 1er août.

Une prière pour le G8. Où es-tu, Dieu ? Pourquoi t’es-tu caché ? L’humanité s’est éloignée de toi. La mort, la faim, le sang se sont emparés de la terre. Toi qui as conçu la mer, le ciel et l’univers pour le bonheur de tes créatures, toi qui as imprimé dans le cœur de chaque créature le respect et la bienveillance, tu es oublié, tu es méprisé. Où es-tu, Dieu ? Pourquoi t’es-tu caché ? Les puissants de la terre sont toujours plus arrogants et superbes : ils n’ont pas peur de toi, ils n’ont peur de personne. Ils défient l’univers, le méprisent, ils affament en refusant d’être ennuyés, ils s’enrichissent en s’appropriant toutes les ressources. Gloutons et avides, ils ne pensent qu’à eux et à leur bien-être. Où es-tu, Dieu ? Pourquoi t’es-tu caché ?
Prière de la Coordination nationale des communautés d’accueil (extraits), prononcée, face contre terre, par quelques centaines de fidèles, vendredi 13 juillet, dans l’Eglise de la Santissima Trinità.

Vacances. Fin juillet, on dénombre quelques disparus depuis quelques jours, et pour quelques jours encore. A la télévision, le ministre italien des affaires étrangères dit que s’ils ont disparu, c’est parce qu’ils sont allés à la mer.

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Périphéries, août 2001
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