Périphéries

Autour des « recalculés » (2/6)

« Nos salutations très distinguées »

Comme une lettre à la poste. « Monsieur,

Par courrier du 27 août dernier , vous nous proposez votre candidature à un poste de maçon ou de manœuvre au sein de notre société.

Nous nous permettons de vous rappeler que la période pendant laquelle vous avez droit aux indemnités ASSEDIC doit servir à la recherche d’un emploi.

Il est tout à fait regrettable que vous vous mettiez à chercher un poste en raison de la cessation prochaine de vos indemnités. C’est pourquoi, malgré des places disponibles, nous avons décidé de ne pas donner une suite favorable à votre demande. Nous vous prions de croire, Monsieur, à l’assurance de nos salutations très distinguées. »
Réponse spontanée d’un chef d’entreprise à une candidature spontanée de chômeur en « fin de droits », avec « copie à l’ANPE », le 2 septembre 2004, dans une province, quelque part à l’Est.

Bons baisers de chez moi.
« Monsieur le président de l’UNEDIC,
J’exige que l’argent de mes cotisations
aille à tous les chômeurs,
je vous interdis de vous servir
de mes cotisations pour me précariser.
 »
Nom : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Prénom : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Ville : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
Carte postale
à adresser à :
Monsieur le président de l’UNEDIC,
80, rue de Reuilly,
75012 Paris.

Avant-garde de situation. « Les effets de la violence symbolique sont tout ce qu’il y a de plus réel. Les discours stéréotypés, la stigmatisation (jeunes, chômeurs, immigrés désignés boucs émissaires de notre société), qui entretiennent les clivages et le sentiment de “peur de l’autre”, la criminalisation des pauvres, de ceux qui osent s’opposer à la logique de marché soi-disant inéluctable, ne sont pas sans conséquence sur le quotidien de millions d’entre nous.

Comme l’a demandé Véronique dans une lettre adressée à son amie Viviane : “Ne dites pas que je me suis suicidée, dites que j’ai décidé d’arrêter de souffrir.” Combien sont-ils ceux qui décident d’arrêter là leur souffrance ?

Véronique, Hubert, mais aussi un copain de Bourges, de Bretagne, du Lot, le chômeur qui, il y a dix ans, s’est immolé aux portes de Bègles... J’ai envie de crier, de hurler pour qu’ils ne soient pas morts pour rien, pour que l’indifférence, le mépris, la solitude qui les ont tués soient bannis à jamais de notre société. Que transmettrons-nous à nos enfants ? Quelles valeurs retiendront-ils quand chaque jour, le seul message qui leur est envoyé, est : “Nous clôturerons à +2 ou -4%” ?

Le système actuel impose des choix politiques qui créent des dégâts quotidiens dans la chair de ceux qui les subissent de plein fouet. Un jour, Marie-France m’a confié : “J’avais des problèmes, des dettes, les huissiers à la porte, je mangeais des pâtes et du riz tous jours, mais quand j’ai perdu une dent, j’ai compris que j’étais devenue une exclue ! Ca y est, je ressemblais à ceux que je croise dans la rue, qui font la manche.” Angoisse de rejoindre l’armée des ombres, premier signe corporel de la dégringolade vers le néant, sorte de compte à rebours programmé ! Pour Marie-France, la perte d’une dent agit comme un détonateur, elle a refusé cette fatalité. Militante du quotidien, elle s’est accrochée à ses copains de lutte et de galère comme à une bouée. Combien en ont la possibilité ? Combien de familles éclatées, de copains qui se “réfugient” dans l’alcool ou la drogue ? Combien meurent à petit feu et en silence ? Leur parole est confisquée en même temps que leur dignité. Y compris ceux qui veulent le bonheur à leur place, leur dénient le droit et les capacités de le penser et de le construire.

Un passé composé. Depuis trente ans, les politiques imposées par le grand patronat se servent du chômage et donc des chômeurs comme variables d’ajustement pour maintenir la pression sur l’ensemble du monde au travail et poursuivre leur logique de profit maximum. Il en résulte un chômage massif et structurel et une hétérogénéité de ceux qui en sont victimes. Les histoires, les cultures, le niveau de qualification, la sphère familiale, l’environnement social, l’âge, le système d’indemnisation selon que l’on a, longtemps, peu ou pas, travaillé, les aspirations sont autant d’éléments qui font qu’un chômeur ne ressemble pas à un autre chômeur. Les difficultés de mobilisation, de luttes et de réflexions collectives sont renforcées par cette hétérogénéité. Cependant, même si une grand majorité de nos adhérents est confrontée aux minima sociaux, les diversités d’approches, d’expériences et de désirs sont une vraie richesse et une ressource considérable pour notre association et, au-delà, pour la société entière, si tant est que celle-ci veuille bien s’en enrichir.

Un futur conditionnel.On nous offre quelque chose, c’est au mieux un cadeau, au pire de la charité, mais jamais on ne donne des droits.” Notre avenir est conditionné par ce que nous serons en capacité de faire ensemble. Face aux tentatives hégémoniques des marchés financiers, des politiques à leurs bottes et des institutions par trop aliénées, des ripostes de plus ou moins grande ampleur s’organisent. Un peu partout dans le monde, des hommes, des femmes se rassemblent et essayent de reconstruire un rapport de force. Ces multiples luttes sur des thèmes variés (environnement, démocratie, les “sans”...) et se heurtent à une offensive libérale considérable et ont du mal à se fédérer en un vaste mouvement.

Notre futur individuel et collectif est pourtant lié à la réussite ou à l’échec de ces mobilisations. Il n’en existe pas de modestes. Tout ce qui peut participer à une reprise d’utilité, de confiance en soi, tout ce qui peut redonner sens, faire passer de spectateur à acteur, peut contribuer à faire changer la culpabilité de camp, à montrer du doigt les vrais responsables et à construire des alternatives de changements radicaux. Plus les individus sont exclus par le système actuel, plus le chemin sera long pour impulser de nouveau une participation citoyenne.

Un présent impératif. Les petits pas franchis par les plus exclus d’entre nous constituent en fait des pas de géant pour ceux qui les font. Notre association, par sa démarche d’accompagnement, par l’expression de sa solidarité au quotidien qu’elle essaye de faire vivre, par la reconnaissance de l’autre comme un être humain respecté dans sa dignité et sa citoyenneté, non seulement redonne un sens au sentiment d’appartenance à un groupe mais, de plus, rend cohérente et possible, sans rien remettre au lendemain, une société où tout projet aurait “l’homme” pour finalité. Les plus méprisés, les plus exclus, les plus mis à la marge, en acceptant de témoigner, manifestent une sacrée dose de confiance en eux et en les autres, ceux qui le font ne versent pas dans le misérabilisme, ils rejettent tout approche compassionnelle. Ils donnent à voir à la société tout entière le désastre d’une logique amenant l’humanité vers le néant. Ces “éclaireurs de conscience” sont une chance pour nous tous. Ils nous invitent à retravailler le sens de notre vie en commun, le fonctionnement de nos institutions (politiques, syndicales, associatives...), le monde de pensées, d’éducation, de transmission des valeurs et des savoirs. C’est en partant des urgences respectives que nous contribuerons ensemble à améliorer le quotidien des classes populaires et des précaires. Si l’intérêt général ne peut pas être la somme des subjectivités, il en est à coup sûr la conjugaison. »
Texte de Patrick Gimond, porte-parole national de l’APEIS, rédigé en novembre 2002

Chômeurs, pas chiens, masochistes. « Les résultats des enquêtes font apparaître un degré assez élevé d’exigence de l’opinion vis-à-vis des demandeurs d’emploi. C’est ainsi, par exemple, que la dernière enquête effectuée pour le compte de l’Unedic par le CREDOC, dans le cadre plus général de l’enquête régulière sur les conditions de vie et les aspirations des Français, montre que 69% des personnes interrogées partagent le sentiment que “si la plupart des chômeurs le voulaient vraiment, beaucoup pourraient retrouver un emploi”, que 73% sont plutôt d’accord avec l’idée de “supprimer les allocations de chômage aux chômeurs qui, au bout d’un certain nombre de mois, refusent un emploi moins qualifié ou moins rémunéré que celui qu’ils cherchent”, ou encore que 78% approuvent l’opinion selon laquelle “il est parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que de travailler avec un bas salaire”. On relèvera que les pourcentages correspondants chez les chômeurs pour les mêmes questions restent toujours majoritaires, avec respectivement 61%, 54%, 73%. La même enquête fait ressortir que si 55% des personnes reconnaissent à tous les chômeurs le droit de toucher une allocation (contre 73% en 1997), il s’en trouve tout de même 41% (contre 26% en 1997) pour estimer qu’il ne faut pas indemniser tous les chômeurs. En marge de ces enquêtes d’opinion générales, il est de bon ton, et dans bien des milieux de la société, de glisser dans des conversations plus ou moins liées à l’emploi ou aux salaires telle ou telle anecdote sur des cas d’oisiveté ou de travail au noir, avec une ironie mordante ou une indignation sincère, avant d’en déduire la nécessité de traiter plus vigoureusement “les chômeurs” dans leur ensemble. »
Jean Marimbert, Rapport au Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur le rapprochement des services de l’emploi, janvier 2004, pages 86-87.

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