Un chouette bouquin à offrir à vos parents, à vos employeurs ou de façon générale à tous ceux qui dans votre entourage ont les moyens de consommer. A commencer par vous, puisque vous êtes devant un écran, ce qui est déjà un privilège, ne le niez pas.
En gros, c’est un polar. Le narrateur est un ancien statisticien « spécialisé dans les flux économiques » qui se retrouve au chômage suite à un licenciement, désormais à ranger au nombre de ceux qu’il était auparavant chargé de comptabiliser. Privé de son occupation, le voici confronté à ses envies, ses désirs et ses contradictions, c’est-à-dire à lui-même. Là-dessus, il est contacté sur Internet par un mystérieux interlocuteur (ou une mystérieuse interlocutrice). Son nouveau travail sera (s’il l’accepte) d’observer le monde d’une autre façon pour y déceler, primo les signes de l’anéantissement de la société sous le sourire carnassier du libéralisme absolu, secundo les signes d’une renaissance de la société grâce à des initiatives collectives à taille humaine. Bon.
Si l’on aime la littérature, le polar ne tient pas deux pages, mais l’intrigue est hyperréaliste et les indices laissés par le coupable ont un air de déjà-vu. Sont évoqués, pêle-mêle, les chiffres (réels !) du chômage, la disproportion croissante entre riches et pauvres, l’accroissement de la pollution, les effets pervers de l’aide alimentaire, l’esclavage moderne, les méfaits du tourisme de masse, les déchets toxiques, l’Aspartam et les margarines hydrogénées, les OGM, le FMI et la Banque Mondiale, le GATT et l’OMC, l’AMI et ses clones, la Fondation Saint-Simon. Un peu brouillon, mais le narrateur découvre avec nous l’étendue des dégâts. D’un coup, on bascule avec lui dans un monde atroce qui n’est autre que celui dans lequel nous vivons tous les jours. Le tout est référencé, sourcé, et ressourcé, ce qui confère à La mondialisation racontée à ceux qui la subissent un petit côté « Le Monde Diplo expliqué aux enfants » pas désagréable (pour l’enfant que je suis).
Quelques citations font froid dans le dos :
« L’un des objectifs majeurs de notre gouvernement est de s’assurer que les intérêts économiques des Etats-Unis pourront être étendus à l’échelle planétaire. »
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat américaine
« Dans une économie marchande telle que la nôtre, la conjonction de créations d’emploi et de baisse du chômage a pour conséquence une hausse du prix du travail. Une telle réduction du chômage se traduirait vite par des pertes de compétitivité insoutenables. »
Jacques Barrot, alors ministre du travail
« Nous allons vendre notre savoir-faire à l’étranger et nous nous sommes fixé un objectif de 2 milliards de chiffre d’affaires en 3 ans. Je suis convaincu qu’il s’agit là du grand marché du XXIe siècle. »
Claude Allègre, alors et toujours ministre de l’enseignement
D’autres, au contraire, apportent une dose de lucidité, comme celle de Cornélius Castoriadis :
« Il y a la merveilleuse phrase d’Aristote : “Qui est citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et d’être gouverné”. Il y a des millions de citoyens en France. Pourquoi ne seraient-ils pas capables de gouverner ? Parce que toute la vie politique vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu’il y a des experts à qui il faut confier les affaires, il y a donc une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s’habituer à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s’habituent à suivre ou à voter pour des options que d’autres leur présentent. »
La dernière partie, peu développée (et pour cause) est consacrée aux embryons de solutions, certes sporadiques : le « fair-trade » et l’économie solidaire, les CIGALE, les SEL... La bonne surprise, c’est que toutes les infos sont sourcées, ce qui donne l’impression de lire un traité d’économie avec la facilité du polar de l’été.
Enfin, ceux qui, intraitables amateurs de romans policiers, attendent avec impatience le nom du coupable, pourront trouver des pistes chez Hervé-René Martin : « A la vérité, ce à quoi nous assistons aujourd’hui est l’aboutissement d’un processus qui prend son essor au cours de l’Europe des Lumières au XVIIIe siècle mais dont on peut penser qu’il était d’ores et déjà à l’œuvre dès les origines des temps historiques : “Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la” est le message que l’homme monothéiste s’adresse à lui-même dans la Genèse, via la parole d’un dieu qu’il s’invente pour la circonstance. »
La mondialisation racontée à ceux qui la subissent, de Hervé-René Martin - Climats, 1999, 60 francs.
Du même auteur : Le Fils de Minos, éditions du Rocher, 1989 - L’Eveil de Clémence, Climats, 1997 - Le Buisson Ardent, Climats, 1998 - La Quatrième Voie : plutôt que le Front national une démocratie plus citoyenne, éditions Manugraph, 1997 - Le Grand Monopoloi, créé par la Compagnie Tarif de Groupe à l’occasion du salon du livre antifasciste de Martigues le 29 mai 1999.
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