Périphéries

Guillemets
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Sexes

« Assise à la table de réunion, souvent, il me semble n’avoir rien à dire. Pas la peur de dire - non - le rien à dire. Quelque chose d’absent dans ma tête, des idées qui ne parviennent pas à former des mots ou des phrases. Chaque réunion comme une partie de cartes que je n’oserais pas interrompre. Demander des précisions sur la règle du jeu serait l’aveu de mon ignorance. J’envie l’assurance de ces hommes qui savent, voix forte et cigarette à la main. Alors je les écoute, hommes qui disent et qui font. Qui connaissent le nom des politiques, le nom des responsables de projet, le nom des financeurs. Ils savent et ils disent. Se mettent debout quand il faut convaincre et en imposent avec leur organe vocal. »
Fabienne Swiatly, Gagner sa vie

« Pendant des années, j’ai été à des milliers de kilomètres du féminisme, non par manque de solidarité ou de conscience, mais parce que, pendant longtemps, être de mon sexe ne m’a pas empêchée de grand-chose. Puisque j’avais envie d’une vie d’homme, j’ai eu une vie d’homme. C’est que la révolution féministe a bien eu lieu. Il faudrait arrêter de nous raconter qu’on était plus comblées, avant. Des horizons se sont déployés, territoires brutalement ouverts, comme s’ils l’avaient toujours été. D’accord, la France actuelle, c’est loin d’être l’Arcadie pour tous. On n’est ni heureuses, ni heureux, ici. Ça n’a aucun rapport avec le respect de la tradition des genres. On pourrait toutes rester en tablier à la cuisine et faire des gosses chaque fois qu’on baise, ça ne changerait rien à la faillite du travail, du libéralisme, du christianisme ou de l’équilibre écologique. »
Virginie Despentes, King Kong Théorie

« La maternité est devenue l’expérience féminine incontournable, valorisée entre toutes : donner la vie, c’est fantastique. La propagande “pro-maternité” a rarement été aussi tapageuse. Foutage de gueule, méthode contemporaine et systématique de la double contrainte : “Faites des enfants c’est fantastique, vous vous sentirez plus femmes et accomplies que jamais”, mais faites-les dans une société en dégringolade, où le travail salarié est une condition de survie sociale, mais n’est garanti pour personne, et surtout pas pour les femmes. Enfantez dans des villes où le logement est précaire, où l’école démissionne, où les enfants sont soumis aux agressions mentales les plus vicieuses, via la pub, la télé, Internet, les marchands de soda et confrères. Sans enfant, pas de bonheur féminin, mais élever des gamins dans des conditions décentes sera quasiment impossible. Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent en échec. (...) Les armes contre notre genre sont spécifiques, mais la méthode s’applique aux hommes. Un bon consommateur est un consommateur insécure. »
Virginie Despentes, King Kong Théorie

« Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève de la puissance. Pendant ce temps, les hommes, en tout cas ceux de mon âge et plus, n’ont pas de corps. Pas d’âge, pas de corpulence. N’importe quel connard rougi à l’alcool, chauve à gros bide et look pourri, pourra se permettre des réflexions sur le physique des filles, des réflexions désagréables s’il ne les trouve pas assez pimpantes, ou des remarques dégueulasses s’il est mécontent de ne pas pouvoir les sauter. Ce sont les avantages de son sexe. La chaudasserie la plus pathétique, les hommes veulent nous la refiler comme sympathique et pulsionnelle. Mais c’est rare d’être Bukowski, la plupart du temps, c’est juste des tocards lambda. Comme si moi, parce que j’ai un vagin, je me croyais bonne comme Greta Garbo. Etre complexée, voilà qui est féminin. Effacée. Bien écouter. Ne pas trop briller intellectuellement. Juste assez cultivée pour comprendre ce qu’un bellâtre a à raconter. »
Virginie Despentes, King Kong Théorie

« JACOPO : Tu es triste, maman ?
MODESTA : Non, Jacopo, j’écoute la musique.
JACOPO : Alors je ne parle pas. C’est juste que je voulais te poser une question. De quel livre parlait tout à l’heure Prando à Bambù ?
MODESTA : Oh, ce n’est rien... ou plutôt c’est un livre fondamental pour les femmes.
JACOPO : Ah, oui ? Il est d’un Italien ?
MODESTA : Non, il est d’Auguste Bebel, un socialiste allemand, tu sais ? de l’entourage de Rosa Luxembourg.
JACOPO : Ah ! Et il parle des femmes ?
MODESTA : Le titre te le dit : La Femme et le socialisme.
JACOPO : Et qui te l’a donné, à toi ? Ta mère ?
MODESTA : Oh, non. Ma mère ne savait ni lire ni écrire, tu l’oublies toujours. Je l’ai trouvé dans les livres d’oncle Jacopo. Je t’ai parlé du trésor d’oncle Jacopo, tu ne te rappelles pas ?
JACOPO : Mais si, bien sûr. Mais je croyais... c’est-à-dire... tu ne me l’as jamais donné, à moi, parce que je suis un garçon ?
La vibration douloureuse des cordes du dernier joueur de mandoline se répercute dans les yeux tristes de Jacopo, révélant une injustice à Modesta. Injuste Modesta ! Dans le désir de protéger la future femme qui repose en Bambù, elle a négligé Jacopo, Prando, ‘Ntoni.
JACOPO : Tu ne réponds pas, maman, pourquoi ? C’est un livre rien que pour les femmes ?
MODESTA : Non, Jacopo, je m’interroge. Ce que tu as dit m’a révélé une erreur que j’ai faite. Bien sûr, c’est un livre qui s’adresse aux femmes, mais il est écrit par un homme et j’aurais dû le conseiller aussi à Prando et toi.
JACOPO : C’est cela que je voulais comprendre, maman. Tu as toujours dit que les hommes et les femmes doivent lire les mêmes livres, les mêmes journaux... »
Goliarda Sapienza, L’art de la joie

« Nous avons trouvé Durruti un tablier noué autour de la taille, en train de faire la vaisselle et de préparer le dîner pour la petite et pour sa femme, qui n’était pas encore revenue de son travail. Germinal s’est mis à rire : “Mais, mon gars, ce sont des trucs de femme...” Il est vrai que Buenaventura était amusant avec ce tablier de femme qui semblait minuscule sur sa poitrine de taureau et sa tête de gorille surgissant des volants. Mais Durruti s’est alors redressé, il a froncé les sourcils et ses yeux se sont mis à lancer des éclairs ; et il n’avait plus l’air amusant du tout, mais féroce et dangereux. Germinal a fait deux pas en arrière, et moi-même, qui aimais pourtant Durruti comme un père, je n’ai pu m’empêcher de me recroqueviller sur mon siège. “Prends exemple !” a tonné Buenaventura tout en montrant du doigt Germinal mort de peur. “Quand ma femme va travailler, moi je fais le ménage, les lits, et je prépare le repas. En plus, je baigne la petite et je l’habille. Si tu penses qu’un anarchiste doit passer son temps dans une taverne ou un café pendant que sa femme travaille, c’est que tu n’as rien compris.” »
Rosa Montero, La Fille du Cannibale

« Dans un vieux film soviétique, Le Quarante et unième, inspiré du roman de Boris Lavreniev, paru sous le même titre, il y a une scène qui m’interpelle. Le film raconte l’histoire d’une jeune et courageuse soldate de l’Armée rouge qui a capturé un ennemi, un séduisant officier de la Garde blanche. Ils sont là dans une cabane en plein désert, attendant le retour de l’unité de la jeune femme. La soldate de l’Armée rouge, dont le grand cœur est réfractaire au dogmatisme, tombe amoureuse de son charmant ennemi idéologique. A un moment, le papier à cigarettes vient à manquer à son compagnon. Généreusement, elle donne à son prisonnier le seul objet précieux qu’elle possède : un modeste carnet où elle a consigné des vers. L’officier blanc roule son tabac dans la poésie de la soldate et la fait insolemment partir en fumée, sous les yeux médusés des spectateurs, et cela jusqu’à la dernière ligne.
Pouvons-nous imaginer la situation contraire ? Non. Car la scène en question, aussi naïve et touchante soit-elle, représente bien plus qu’une scène de cinéma : c’est le résumé métaphorique de l’histoire des lettres féminines, du rapport des femmes à leur propre créativité ainsi que du rapport des hommes à la créativité de leurs compagnes... »
Lire la suite : « Les femmes, le tabac et la littérature », par Dubravka Ugresic, Le Monde diplomatique, septembre 2005

« La beauté intérieure, en fait, c’est ceci : un regard posé et lointain, un front lisse, des traits calmes, un sourire nuancé, tout un arsenal physionomique de Joconde qui reste, encore aujourd’hui, une des clés du vocabulaire physique des représentations de la beauté.
Sous cette apologie d’une expression sereine et détachée se cache bien sûr un jugement moral qui vient de loin et que consacrera le XVIIIe siècle : les passions trahissent, elles sont inquiétantes et, dans le cas des femmes, elles sont laides. “Une douceur affectueuse est tellement inhérente à sa nature, que la colère enlaidit sa figure sans parvenir à lui donner un air plus terrible ; au lieu d’animer ses yeux et d’y faire passer tous les feux d’une âme ardente, elle ne fait que détruire la régularité de ses traits trop mobiles ; on est tenté de rire lorsqu’on voit une femme en colère, tandis qu’un homme, dans la même disposition d’esprit, inspire toujours quelques craintes.” (Dictionnaire abrégé des sciences médicales, 1821.) La femme doit donc être sereine à deux titres. Elle ne peut se permettre de soutenir des passions fortes, passions qui de toute façon l’usent et la vieillissent prématurément (...). La notion, toute cosmétique, de “rides d’expressions”, exprime clairement que ce n’est pas le temps qui a provoqué ces rides, mais soi-même, et qu’une autre attitude, une “dimension intérieure”, une “certaine qualité d’âme” pendant la vie auraient pu changer le visage. Ainsi sont condamnés irrémédiablement « les sourcils froncés, les sourcils levés, le sourire artificiel qui creuse deux sillons du nez au coin de la bouche, la lecture tardive des romans qui provoque des sillons entrecroisés autour des yeux ». »
Bruno Remaury, Le beau sexe faible - Les images du corps féminin entre cosmétique et santé

« L’homme est chaud et la femme froide, l’homme est sec et la femme humide. (...) Une jolie fille sera ainsi, plus facilement qu’un garçon, qualifiée de “fraîche”, expression qui n’est jamais qu’une manière valorisée de qualifier le froid et l’humide. Le terme “chaud”, qui renvoie généralement à l’image d’un potentiel de sexualité, est un propos plutôt moins valorisant quand il s’applique à une femme qu’à un homme. La femme sèche est de la même façon plus dévalorisée qu’un homme sec. (...) C’est évidemment en vertu de ce principe que nombre de substances valorisées dans les cosmétiques le sont en fonction de l’imaginaire de la “fraîcheur”, terme particulièrement présent aujourd’hui dans l’univers des cosmétiques et qui renvoie à un féminin froid et humide, alors que les quelques produits de beauté pour homme timidement apparus sur le marché il y a une dizaine d’années se réclament d’une rhétorique centrée sur la stimulation ou la protection davantage que sur la fraîcheur ou l’hydratation, même si le résultat en termes de produits est similaire. L’emballage suit également la même partition, comme la couleur des conditionnements des lignes Vichy, blanc pour les femmes et rouge pour les hommes. (...) Les produits et préparations se réclament de plus en plus d’une technologie sophistiquée alors même que le discours marketing qui les entoure obéit sans forcément le savoir à des systèmes de représentations relativement anciens, passablement archaïques et, en tout cas, remarquablement invariants. »
Bruno Remaury, Le beau sexe faible - Les images du corps féminin entre cosmétique et santé

« La première période de l’histoire des femmes fut qualifiée de peu intelligente, jusqu’à l’arrivée de ces cinq volumes [Histoire des femmes en Occident, dirigé par Georges Duby et Michelle Perrot, auquel a contribué Arlette Farge] qui ont changé la donne. Le regard porté par la communauté des historiens était à peu près le suivant : “Elles veulent nous castrer, alors que nous ne demandons qu’à leur faire l’amour.” Evidemment, je plaisante et caricature un peu, mais il y avait de cela... »
Arlette Farge, Quel bruit ferons-nous ?

« On dit les femmes “bavardes” et les enfants “timides”. Elles ne sont pas “bavardes” et les enfants ne sont pas “timides” mais la musique de la parole féminine et les silences des enfants reflètent la longue histoire du verbe accaparé par celui qui a transmué la force musculaire en cette force tranquille de la parole qui menace sans menacer, qui menace par le temps qu’elle prend à s’étirer, à prendre son temps, à occuper le temps.
Ainsi la musique de la parole féminine conserve-t-elle, étroitement mêlées en elle, les traces d’une longue plainte et d’une éternelle revendication. Il est rare que cette parole soit tranquille et ferme. Les mots par leur rapidité disent la peur qu’ils soient coupés. Reste comme une panique congénitale : Me laissera-t-il finir ? »
Rezvani, « Parole d’honneur », in Théâtre : dernier refuge de l’imprévisible poétique

« Les organes féminins sont jalonnés de noms masculins. Les conduits reliant chacun des deux ovaires à l’utérus se sont appelés jusqu’en 1997 les trompes de Fallope, chirurgien italien du XVIe siècle - avant de devenir les trompes utérines. Les petits sacs situés dans les ovaires et dans lesquels, de la puberté à la ménopause, mûrit chaque mois un ovule, sont les follicules de De Graaf, médecin hollandais du XVIIe siècle. Les glandes qui sécrètent le liquide humidifiant la vulve et l’entrée du vagin portent le nom de Bartholin, anatomiste danois du XVIIe siècle. En outre, au XXe siècle, une zone de plaisir située dans le vagin a reçu l’appellation de point G, initiale du médecin allemand Ernst Gräfenberg.
Imaginez l’équivalent chez l’homme : les corps caverneux d’Emilienne Dupont, ou le canal de Catherine de Chaumont... »
Florence Montreynaud, Appeler une chatte..., Mots et plaisirs du sexe

« Si un homme naît on le bichonne si c’est une femme on lui fait des crasses pendant les trois premiers jours de sa vie. Si elle survit c’est que les dieux à la noix sont avec elle. »
Rezvani, Mille Aujourd’hui

« Dans notre société, le travail salarié favorise le plus souvent l’ennui, la lâcheté, la résignation à l’absurde, la docilité infantile, les commérages, les relations fielleuses et l’illusion. Il en est ainsi depuis longtemps pour les hommes ; depuis moins longtemps pour les femmes. Les premiers savent par cœur, et comme d’instinct, les airs d’importance qu’il convient d’afficher, la liberté de jugement qu’il faut mimer, les ruses qu’il est habile de déployer pour faire semblant de tenir debout. À ce jeu qui ne les trompe pas un instant, puisqu’elles ont vu leurs compagnons s’y décomposer, mais auquel il leur a fallu, à leur tour, se résigner, les femmes se sont brillamment adaptées, feignant de trouver dans le bavardage général sur la convivialité une occasion de mettre en valeur leurs qualités spécifiques, leur sensibilité, etc. Si bien qu’on ne sait ce qui est le plus triste, de l’effort héroïque des hommes pour ne pas être lucides ou de l’effort héroïque des femmes pour oublier qu’elles le sont. »
Jean Sur, Le marché de Résurgences VI

« Le temps haletant, où se succèdent des actions indépendantes, le temps haché de passés simples, le temps délié où chaque matin relance la vie, c’est le temps des hommes. Le temps où s’installent les femmes, en revanche, est un temps à l’imparfait, un temps lié : sur lui pèse le poids de l’enfance, des habitudes, de la tradition ; aucune ne sait se défaire de la traîne persistante du passé dans le présent. Elles s’éveillent, écrit madame de Rémusat, avec les pensées sur lesquelles elles se sont endormies. Et Beauvoir : “L’action du temps m’a toujours déconcertée, je prends tout pour définitif.” De là naît pour toutes un sentiment de profonde inégalité avec les hommes. Alors que ceux-ci peuvent renouveler en permanence leurs affections, elles ne savent ni renoncer aux sentiments dont pourtant le feu est éteint, ni renaître - c’est le thème de Staël - au nouvel amour. (...) Si beaucoup professent une religion éclairée, catholique ou protestante, si elles ont le sentiment vif d’être reliées, la transcendance les intéresse peu. Ce n’est pas à l’éternité qu’elles aspirent, mais à la durée humaine. Elles sont acharnées à transformer l’instantané en état, à “se choisir tous les jours” comme le dit Alfieri, cité avec exaltation par madame de Staël, à éliminer les temps morts, à magnifier les temps forts, à bannir la tristesse comme une défaillance, à remplir l’existence du plus grand nombre possible de menues jouissances ; et celles-ci, Isabelle de Charrière l’assure, vont leur train quand bien même on n’aurait rien réussi d’autre. (...) Cette présence si pleine au temps, madame de Rémusat l’a superbement définie comme “la capacité de nous complaire dans ce qui nous appartient”. Et ce passage du “je” au “nous” est significatif. Ici Claire de Rémusat entend parler pour le sexe tout entier. L’art féminin du temps, tel est le secret que toutes nous chuchotent. Voilà le texte commun qu’on peut saisir en cheminant avec elles, à travers les mots qu’elles ont choisis. »
Mona Ozouf, Les Mots des femmes

« L’idéal femme gnangnan, aseptisé, sur mon parcours, je le trouve toujours lié à la bourgeoisie et si je sentais que le sort des filles sages était préférable à celui des folles, c’est qu’il s’auréolait de sécurité, d’harmonie. Les femmes, l’été, faisaient des confitures dans une grande maison de campagne, les petits oiseaux chantaient, tandis que toussait et crachait dans une chambre de bonne celle qui s’était cru tout permis. Je préférais le bonheur forcément. »
Annie Ernaux, La femme gelée

« Personne ne trouvait ridicule son gazouillis, sa pétulance ménagère, tout le monde l’admirait, ses fils, ses belles-filles, de s’être consacrée à l’éducation de ses enfants, au bonheur de son mari, on ne pensait pas qu’elle aurait pu vivre autrement. »
Annie Ernaux, La femme gelée

« Je guette encore le reflet d’un corps imaginaire, celui qui a commencé de danser devant moi à l’adolescence, corps mince aux proportions harmonieuses, à la poitrine désirable, au visage gracieux-mystérieux-mutin-madone, où me caser, que choisir parmi ces masques ? Atteindre ce corps à tout prix. Sinon je ne plairai jamais à aucun garçon, je ne serai jamais aimée et la vie ne vaudra pas la peine d’être vécue. L’équation, belle facteur de plaire et d’amour égale le but de l’existence, elle est entrée en moi comme du beurre et plus sournoisement qu’ax2 + bx + c = 0. Elle était écrite partout. Dans les romans des journaux de ma mère. Dans les livres qu’elle croit bons et sains pour mes quatorze ans, sur les conseils du libraire. »
Annie Ernaux, La femme gelée

« On rêverait d’être regardée comme l’a été Marilyn. Mais la femme qu’on aimerait être, c’est Anémone dans Pas très catholique de Tonie Marshall. »
Noémie Lvovsky à Télérama, 3 mai 2000

« Tant de cérébralité chez une jeune femme a quelque chose d’affligeant. (...) Agnès Varda doit être bien séduisante pour que l’on ait défendu La Pointe courte avec autant de mauvaise foi. »
Jacques Siclier, critique de La Pointe courte, le premier film d’Agnès Varda, dans les années soixante (cité par Télérama, 3 mai 2000)

« Selon la légende, Al Pacino, dont la grandeur ne tient pas aux centimètres, aurait refusé de se lever quand elle vint auditionner, sans succès, sur le plateau de Scarface, et Mel Gibson, aussi courtaud mais moins bégueule, portait des talonnettes pour l’égaler dans L’Année de tous les dangers. Il y a aussi un revers à la médaille. L’axiome “weavérien” (“Les producteurs sont petits, je suis grande”) peut s’entendre avec une pointe d’amertume. Née d’une immense incompréhension. “J’aurais préféré les histoires d’amour, les films romantiques ; et je ne désespère pas.” Malgré les occasions ratées. Un jour, elle apprend que Jane Campion recherche, pour La Leçon de Piano, une actrice “du type Sigourney Weaver”. “J’étais abasourdie. J’ai appelé mon agent : que se passe-t-il ? Et moi ?” Finalement, concède-t-elle, Holly Hunter s’en tirait “très bien” - avec vingt bons centimètres de moins. Qui sont autant de points bonus sur l’échelle hollywoodienne de la féminité. Quelqu’un du métier lui lança un jour : “Les gens ne devinent pas à quel point tu es gentille.” »
Françoise-Marie Santucci, portrait de Sigourney Weaver, Libération, 2 mars 2000

« - Vous avez récemment provoqué un mini-scandale en déclarant que vous n’aviez pas dit un mot intelligent durant tout le tournage de Galaxy Quest, votre prochain film, car vous portiez une perruque blonde...
- Les gens n’ont pas le sens de l’humour ! Moi, je trouvais ça drôle, mais la presse a déclaré que j’avais offensé beaucoup de blondes, même si la plupart, j’en suis sûre, sont décolorées. Cela dit, j’ai adoré jouer une blonde. D’ailleurs, vous n’imaginez pas le nombre de gens qui m’ont dit : “Vous êtes tellement mieux comme ça !” »
Sigourney Weaver, Elle, 6 mars 2000

« Séduire que par mon corps, je trouve ça humiliant. J’ai envie d’être ces femmes-là et en même temps, je sais que je n’ai pas cette beauté. (...) J’aime avoir de belles photos, j’aime ce côté glamour. Et puis aussi, je me rends compte de la vanité et de la dépendance que cela implique. On souffre énormément si on investit là-dessus. (...) Dans ce métier, il y a huit rôles masculins pour un féminin, en général une jeune première ou une marâtre. Vous imaginez, vous, un film qui s’appellerait Les Douze salopardes ? »
Agnès Jaoui, Libération, 1er février 2000

« M. le président de l’Association des maires de France [Jean-Paul Delevoye, RPR],
Je vous prie de bien vouloir noter que la députée-maire que je suis refuse de participer au concours que vous avez eu l’étrange idée d’organiser en proposant aux maires de France de choisir, pour symbole de la République, parmi certaines stars du show-biz.
Cette idée, sortie - à l’évidence - tout droit d’un cerveau bien gaulois, n’est pas si surprenante quand on observe que votre organisation ne compte même pas 5% de femmes et qu’elles n’y ont donc pas droit à la parole. Mais j’espérais vaguement que vous auriez pu vous rendre compte que le monde avait bougé depuis les années 50. En imposant si tranquillement vos goûts si archaïquement masculins, vous révélez vos pensées profondes : les femmes n’auraient de place en politique qu’à travers de superbes images capables d’enflammer votre imagination.
Pardonnez-moi de ne pas partager vos fantasmes, et en attendant vos prochaines déclarations en faveur de la parité, croyez, Monsieur le Président, en l’assurance de mes salutations distinguées. »
Yvette Roudy, députée-maire de Lisieux, ancienne ministre ; lettre publiée dans Libération, 2-3 octobre 1999

« Je suis toujours très frappée, lorsque je vais à l’une des grandes manifestations mondaines de mon métier, de lire tant de terreur dans les yeux des femmes - de presque toutes les femmes, jeunes et moins jeunes. Derrière le maquillage, les bijoux, les coiffures impeccables, ces faciès tendus, bridés, ces yeux un peu fixes et durs, tous ces muscles bandés, jusqu’aux fessiers, afin de tendre la peau et éviter que quelque chose ne s’affaisse par inadvertance. Ce qui-vive permanent, ce contrôle ardu de son image n’aident pas, certes, à la souplesse des expressions et à la spontanéité des sourires... Il y a quelque chose de tragique, d’infiniment triste dans cette peur au fond des yeux. Et je ne ris pas, non, car je tremble qu’on ne lise la même peur dans les miens - je la vois si mal cachée derrière une apparente désinvolture. On veut se croire plus fort, mais nul n’est à l’abri. Il faut un tempérament de révolutionnaire pour rejeter sans hésiter cette dictature de l’image, de la jeunesse à conserver à tout prix. Je ne connais guère que Simone Signoret qui ait proclamé que jamais elle ne se ferait arranger la gueule - j’emploie ces mots car ils me furent dits par elle et je les entendis de mes propres oreilles - et qui ait tenu parole. »
Anny Duperey, Les chats de hasard

« Toute femme qui pense est féministe. »
Pipilotti Rist

« L’androgynie que tente de rejoindre Beauvoir n’a rien à voir avec le genre neutre que prône Elisabeth Badinter, pour qui “l’un est l’autre”. C’est au contraire l’un et l’autre, un être humain restauré dans la totalité de ses contradictions, traversé par des différences, dont celle des sexes est l’archétype. Sa force, son élan vital, son élan créateur, Beauvoir les tenait de la confrontation, du face-à-face permanent des contraires en elle, et elle a toujours plaidé pour une humanité rétablie dans toute son ambiguïté. L’androgyne, pour elle, ce n’est pas la figure asexuée et angélique qu’a véhiculée la culture occidentale moderne, repoussant avec horreur, dans sa rage rationaliste et phallocrate, le paradoxe insupportable de la coprésence et de l’égalité des contraires, présents, sous une forme ou sous une autre, en chacun de nous. Refusant d’admettre que les rôles soient interchangeables et que les identités soient variables, en fonction des activités exercées, des moments vécus, des personnes rencontrées. Pourquoi vouloir faire de nous des blocs monolithiques figés dans une identité d’homme ou de femme ou d’être humain sans désir et sans sexe ? »
Françoise Rétif, « Parité : qu’en dirait Beauvoir ? », Libération, 9 mars 1999

« Je suis contente qu’il y ait beaucoup de filles qui écrivent dans la Lettre [du cinéma], non pas au nom d’une politique humiliante des quotas, mais pour produire ce qu’on pourrait appeler des textes “fi-filles”. C’est-à-dire des textes qui n’ont pas peur d’aller à fond dans une sorte de futilité qui n’exclut pas, bien au contraire, que l’on fonce ainsi au cœur de ce que peut le cinéma, au cœur de cette hystérie fondamentale qu’on appelle maladroitement l’identification. Comment je peux devenir une femme ou un homme ou un arbre, en regardant un film ? Autrement dit : qu’est-ce qu’une vraie femme ? Etant entendu qu’il y a des hommes qui sont autant des femmes que moi. »
Hélène Frappat, rédactrice de la Lettre du cinéma, à Libération, 29 juillet 1998

« Au cours d’une représentation en Sicile, une jeune fille s’est levée et a quitté le théâtre en m’injuriant parce que je m’étais permis d’ironiser sur une femme d’intérieur et son langage sentimental, genre roman de gare. Elle protestait surtout parce que je mettais en scène une situation qui, selon elle, n’existait plus, celle d’une femme qui ne pouvait pas disposer d’elle-même et que son mari-patron empêchait de sortir. Je réussis à la rattraper à la fin du spectacle et je lui proposai de discuter, en l’invitant à dîner avec toute la compagnie. “Je ne peux pas - me dit-elle - si dans une demi-heure je ne suis pas rentrée, mon père me tue.” »
Franca Rame, in Le gai savoir de l’acteur de Dario Fo

« Cela dit, il est vrai que j’ai un côté masculin assez marqué : je suis très directe, par exemple, et me comporte de la même manière avec les hommes et avec les femmes, ce qui, paraît-il, n’est pas très féminin. J’ai l’habitude de travailler et de fonctionner seule. Cela oblige à un autre type de rapport. (...) J’aspire à aller à l’essentiel. Hypnotiser, se faire hypnotiser, je trouve cela un peu vain. Sans compter que dans la séduction, il y en a toujours un qui subit et l’autre qui fait subir. Je préfère le désir à la séduction : le partage à l’envoûtement. »
Catherine Deneuve au Nouveau Quotidien (Lausanne), 26 août 1996

« J’ai rencontré beaucoup de jeunes filles qui disent qu’à cause de nous, ma génération, les femmes de 50 ans et plus, les rapports avec les hommes sont difficiles. Ils sont méfiants, mal dans leur peau. Ils veulent des femmes plus dociles, des mères. Elles ont le sentiment qu’elles vont être une génération sacrifiée : elles s’engouffrent dans la voie de l’égalité ouverte par les féministes, mais elles sont mises sur la touche par des hommes qui ne veulent plus de femmes comme elles. »
Dominique Frischer à Libération, 15-16 mars 1999

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Périphéries, janvier 2007
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