Périphéries

Carnet
Janvier 2007

Au fil des jours,
Périphéries explore quelques pistes -
chroniques, critiques, citations, liens pointus...

[21/01/07] Guillemets : Vidal, Swiatly, Donner

« “Arbeit macht frei” : le travail libère. C’est la phrase écrite à l’entrée du camp d’Auschwitz. Et c’est malheureusement le slogan choisi par Tommaso Coletti, président de la province de Chieti, pour les dépliants et les encarts publicitaires vantant les Centres pour l’emploi. “Le travail rend libre. Je ne me souviens pas où j’ai lu cette phrase, écrit M. Coletti dans la publicité, mais c’est une de ces citations qui vous frappent immédiatement parce qu’elles renferment une immense vérité.” »
La Repubblica , Milan, reproduit dans Courrier international du 7 septembre 2006 - Politique

« Pourquoi les lecteurs présupposent-ils qu’un livre a du sens, n’est pas qu’un tissu de non-sens, et mérite d’être publié et lu ? Pourquoi un livre éveille-t-il de l’intérêt chez les lecteurs ? (...) Ne serait-ce pas que le “sens” se définit dans la rencontre du désir d’un lecteur qui le présuppose - et, pour ainsi dire, le projette - et d’un texte doué de certaines caractéristiques, dont la détermination est elle-même problématique, cette rencontre intervenant dans des contextes changeants qui contribuent à transformer le désir du lecteur et le sens du texte, nécessairement ouvert en cela à des interprétations multiples et variables (ce qui n’exclut pas une certaine “stabilité” ou “objectivité” dont il conviendrait de penser la nature, les limites et les conditions de possibilité) ? Faut-il au contraire penser qu’il est possible de définir le sens ultime d’un texte, son noyau de sens, lequel permettrait d’en déterminer la valeur objective qui ne serait ainsi pas relative et contextuelle (chacun, selon les circonstances, trouvant ou non dans le texte l’occasion de bricoler du sens et de l’utiliser comme une boîte à outils) ? »
Jérôme Vidal, Lire et penser ensemble - Sur l’avenir de l’édition indépendante et la publicité de la pensée critique - Culture

« L’autre n’est plus pour moi la clé du paradis, mais un compagnon de paradis. »
Marianne, 43 ans, restauratrice de tableaux, « Peut-on aimer sans souffrir ? », Marie-Claire, février 2007 - Echanges

« Assise à la table de réunion, souvent, il me semble n’avoir rien à dire. Pas la peur de dire - non - le rien à dire. Quelque chose d’absent dans ma tête, des idées qui ne parviennent pas à former des mots ou des phrases. Chaque réunion comme une partie de cartes que je n’oserais pas interrompre. Demander des précisions sur la règle du jeu serait l’aveu de mon ignorance. J’envie l’assurance de ces hommes qui savent, voix forte et cigarette à la main. Alors je les écoute, hommes qui disent et qui font. Qui connaissent le nom des politiques, le nom des responsables de projet, le nom des financeurs. Ils savent et ils disent. Se mettent debout quand il faut convaincre et en imposent avec leur organe vocal. »
Fabienne Swiatly, Gagner sa vie - Sexes

« Sur la quatrième de couverture de son livre, Philippe Val pose sept questions brèves qui sont comme les sept sceaux de la connaissance : “L’aventure humaine touche-t-elle à sa fin ? L’homme du XXIe siècle agit-il librement ? L’athéisme est-il un tabou ? L’amour nous éloigne-t-il de la guerre ? Les singes sont-ils fascistes ? Pourquoi avons-nous peur ? Comment être un homme des Lumières aujourd’hui ?
On est saisi, intimidé, par l’importance de ces questions, et on ne peut s’empêcher de songer aussitôt à la question, la huitième, celle qui les résume toutes : “Est-ce que le ridicule tue ?”
Philippe Val étant directeur de Charlie Hebdo, on pourrait croire à un gag. Mais non. Depuis longtemps déjà, l’avatar d’Hara-Kiri mensuel a pris sa devise au premier degré, il est devenu bête et méchant, et seul le sérieux qu’il y met prête encore à sourire.
(...)
Rien ne me prédestinait à écrire ce livre”, annonce Philippe Val, ébloui par l’inattendu enfantement de ce monument. Elevé chez les Oratoriens, il aurait dû rester idiot, catho, facho, mais voilà qu’un jour, en allant faire pipi au côté d’un condisciple, “dans l’enthousiasme du soulagement”, lui vient la révélation que Dieu n’existe pas. “Ce lieu d’aisances m’a été ce que le chemin de Damas fut à saint Paul.” Alléluia ! Voilà donc Fifi le Terrassé, contraint “d’arrêter net ses études à 17 ans pour faire de la musique, des chansons et du théâtre”. Mais ne croyez pas qu’il va se désintéresser de la culture, au contraire : Montaigne, Spinoza, Shakespeare, Freud, Schopenhauer, Deleuze, tous y passent et conduisent, que dis-je, destinent le jeune athée à écrire cet incroyable Traité de savoir-survivre. C’est l’œuvre d’un homme à part, décidément, un homme libre qui n’hésite pas à braver ses origines sociales et culturelles pour affirmer avec force qu’il a “conscience d’avoir conscience”, formule qu’il répète une cinquantaine de fois, comme pour la réinventer. C’est qu’on s’autorise beaucoup quand on est libre. “La liberté n’est rien d’autre que le chemin à parcourir pour accroître nos possibilités d’être heureux.
Pour Philippe Val, le sommet de la liberté de jouir à laquelle chacun de nous aspire, c’est l’amour aux chandelles, avec une bouteille de “Château Pétrus sur la table de nuit”. Dommage, il n’y a pas de “Château Pétrus” (Pétrus est un seigneur qui n’a pas besoin de titre), mais on aura repéré au passage l’influence de Michel Onfray. Les grands esprits jouisseurs se rencontrent. Val, c’est du Onfray, mais en plus simple, si c’est possible, encore plus facile à comprendre, une sorte de vulgarisation de la vulgarisation qui n’est pas dépourvue d’une certaine vulgarité. C’est le risque quand on veut plaire : “Lecteur, si mon livre te donne l’intuition que la joie est moins inaccessible qu’il n’y paraît, j’aurai atteint mon but.” C’est beaucoup nous demander en effet, que notre joie demeure à la lecture de ce traité. Le désagréable, ce n’est pas l’inculture ou l’erreur - nous sommes assez grands pour ouvrir de vrais livres - c’est l’arrogance et le bruit qu’elle fait. »
Christophe Donner, Le Monde 2, 13 janvier 2007 (lire aussi sur ce site « L’obscurantisme beauf ») - Médias


Périphéries, 21 janvier 2007
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