Périphéries

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Choses

« Il ne faut pas vous en faire pour le fric. C’est tout. Je n’ai plus rien à dire. Pas même un mot. Rien à dire. »
Marguerite Duras, C’est tout

« En Suisse, retour d’Inde et du Japon, je me suis longtemps senti mal à l’aise. Les magasins, les rues m’inspiraient une répulsion irraisonnée. Noël qui approchait, la foule des acheteurs, les faces tartinées de santé, le bruit des sous, la couperose me donnaient le cafard. Le seul endroit où je respirais c’était - tenez-vous bien - l’hôpital. Pourtant c’était mon pays que je m’étais réjoui de revoir, pourtant on m’avait partout accueilli avec une gentillesse qui ne se démentait pas. Alors ? Je crois que c’était l’argent qui me gênait. L’argent engorgeait tout. Et à cause de cet argent, il n’y avait plus de foule ; elle était rompue, divisée comme une étendue de sable par les mailles éparses d’un filet. Il n’y avait que de petites fortunes, de petites coquilles, de petites solitudes meublées, feutrées, équipées, mais solitudes quand même. Dans les salles de billard, dans les autobus, j’entendais souvent cette phrase qui me paraissait stupéfiante : "Moi, je n’ai besoin de personne." La communauté n’existait plus - communauté : le sentiment profond que le sort de n’importe lequel de vos semblables vous concerne et vous affecte en quelque façon, la conscience d’une interdépendance -, et pour qu’elle se recrée il fallait un de ces chocs - accident mortel sur la route, révolution hongroise - qui montrent bien que l’argent n’est pas tout et que ce qui nous rapproche des autres est plus fondamental que ce qui nous en éloigne.
Autrement, et en temps normal, on n’avait besoin de personne. Ce n’était que trop vrai, et quelle indigence. L’Hindou et le Chinois exposés en permanence à manquer de riz ou de galette ont perpétuellement besoin du voisin, et le voisin d’eux. Le paysan du Dekkan a beau avoir l’œil vide et feindre l’indifférence ; mendier de la farine, prêter de la farine, voir - à cause d’une rivière qui déborde à 200 kilomètres de là - sa maison soudain remplie d’inconnus, et pour longtemps, il ne connaît que ça, c’est son ordinaire. Voilà qui fait des foules. La misère se partage, et c’est grâce à cela que les misérables vivent encore. L’égoïsme n’est pas dans leurs moyens, trop coûteux. La prospérité ne se partage pas.
Il faut cependant quitter la misère. Les Indiens y travaillent et on leur souhaite de réussir. Je leur souhaite aussi de conserver alors le cœur qu’ils avaient quand ils n’avaient que ça. »
Nicolas Bouvier, « Retour d’Inde » (1955), L’œil du voyageur

« J’ai toujours été très étonnée de constater qu’un chapeau à la mode, un corsage correct, une paire de bottines bien tendues, un petit mobilier de petits meubles encombrants, quelque argenterie et de la porcelaine suffisaient à calmer chez beaucoup de personnes la soif du bonheur. Toute jeune j’ai senti que la terre existait et j’ai voulu en connaître les lointains. Je n’étais pas faite pour tourner dans un manège avec des œillères de soie. »
Isabelle Eberhardt, « Réflexions dans une cour », Dans l’ombre chaude de l’islam

« L’économie nous divise. Nous allons seuls au supermarché. Nous n’avons plus d’objectifs communs. Et c’est pourquoi nous préférons glaner dans les ruines plutôt que construire une société décente. »
Edward Bond au Monde, 13 janvier 2001

« A part cette chaise, il n’y avait rien d’autre qu’une caisse en bois retournée sur laquelle trônaient un réchaud à alcool, une cafetière et une gargoulette contenant de l’eau potable. Gohar vivait dans la plus stricte économie de moyens matériels. La notion du plus élémentaire confort était depuis longtemps bannie de sa mémoire. Il détestait s’entourer d’objets ; les objets recelaient les germes latents de la misère, la pire de toutes, la misère inanimée ; celle qui engendre fatalement la mélancolie par sa présence sans issue. Non pas qu’il fût sensible aux apparences de la misère ; il ne reconnaissait à celle-ci aucune valeur tangible, elle demeurait toujours pour lui une abstraction. Simplement il voulait protéger son regard d’une promiscuité déprimante. Le dénuement de cette chambre avait pour Gohar la beauté de l’insaisissable, il y respirait un air d’optimisme et de liberté. La plupart des meubles et des objets usuels outrageaient sa vue, car ils ne pouvaient offrir aucun aliment à son besoin de fantaisie humaine. Seuls les êtres dans leurs folies innombrables, avaient le don de le divertir. »
Albert Cossery, Mendiants et orgueilleux

« Un choix immense, des rayons à perte de vue, une avalanche de couleurs et de lumière. Autant d’éléments qui réduisent le consommateur, lui font perdre ses repères, et qui, au final, favorisent les achats impulsifs. "Dans les épiceries où il y a des vendeurs, les achats impulsifs sont environ moitié moindres. Face à un vendeur, le client réfléchit à ce dont il a réellement besoin." Dans ce contexte, le client se retrouve à l’intérieur d’un royaume semblable à ceux décrits dans les contes de fées de son enfance, où tout ce qu’il désire est à portée de la main. A l’aide de caméras enregistrant le nombre de battements de paupières, des chercheurs ont montré que des clients plongés dans cet univers "merveilleux" se trouvaient dans un état proche du premier stade de l’hypnose. »
Frank Mazoyer, « Consommateurs sous influence », Le Monde diplomatique, décembre 2000

« Les marques me rendent triste. Que c’est laid, les marques, les emballages, les logos, les couleurs, la publicité, que c’est triste, que c’est loin du monde ! Quand je suis arrivé au Mali, le premier jour, j’ai mangé en dessert un yaourt. Rien n’était écrit sur le pot en plastique tout blanc, seulement sur l’opercule argenté, un tampon à l’encre noire avec ces mots :
MALI
LAIT
FRAISE
Rien d’autre.
Je ne l’ai pas gardé parce que je pensais que tous les yaourts du pays étaient comme ça et que j’en retrouverais, mais je n’ai jamais retrouvé ces trois mots. Ils ressemblaient à ce pays, à sa douceur, aux langues toutes roses dans les bouches entourées de noir, au bel accent que le Sahel donne au français. »
Antonin Potoski, La plus belle route du monde

« Le rapport de l’homme à l’objet n’est du tout seulement de possession ou d’usage. Non, ce serait trop simple. C’est bien pire.
Les objets sont en dehors de l’âme, bien sûr ; pourtant, ils sont aussi notre plomb dans la tête. Il s’agit d’un rapport à l’accusatif.
L’homme est un drôle de corps, qui n’a son centre de gravité en lui-même.
Notre âme est transitive. Il lui faut un objet, qui l’affecte, comme son complément direct, aussitôt.
Il s’agit du rapport le plus grave (non du tout de l’avoir, mais de l’être). »
Francis Ponge, « L’objet c’est la poétique », in L’Atelier Contemporain, Gallimard 1977

« Il y a aussi les trucs qui m’énervent, comme les téléphones portables au restaurant. Alors j’ai rapporté de Hong Kong un briquet qui enchaîne trois sonneries différentes quand j’allume une cigarette. Une horreur ! Dommage, je l’ai pas pris, ce soir... »
Yolande Moreau à Elle, 3 mai 1999

« Le chariot de supermarché, c’est beaucoup plus violent, obscène ; vous y étalez une partie de votre organisation vitale, au vu de tous, et, de son côté, il constitue l’élément mobile et grillagé d’un système de surveillance, voire de suspicion (...). On y mélange tout, comme dans une poubelle, d’ailleurs c’est une antichambre de poubelle, tout sera jeté. (...) J’ai toujours eu une attirance étrange pour les objets : l’envie à la fois de les posséder et de m’en débarrasser. Ils provoquent en moi une relation très violente à la réalité. Ils sont comme une quintessence du réel. Quand on essaie d’échapper au quotidien, les objets vous rattrapent, immanquablement, implacablement. Ils vous ramènent à cela même que vous essayez de fuir. Le Caddie est un exemple type de cette mécanique implacable du réel : dans un supermarché, vous pouvez jouer d’élégance et de distance autant que vous voulez, il vous tient comme un élastique. »
Macha Makeieff, « Les objets du siècle : le chariot », Libération, 20 mars 1999

« Les gens font leurs achats comme s’ils cueillaient les fruits du paradis. »
Edward Bond, Pièces de guerre I

« ... Et qu’est-ce que la crainte du besoin, sinon le besoin lui-même ? »
Khalil Gibran, Le Prophète

« Le luxe du peu »
J.-M. G. Le Clézio chez Jean-Luc Hees, France Inter, 3 juin 1997

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Périphéries, septembre 2005
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