Portraits, entretiens

« Vous savez à quoi je pensais, dit Lunatic,
quand j’étais derrière vous sur la moto ? Vous cherchez un panneau,
par exemple, quand vous allez quelque part, vous cherchez
le panneau indiquant l’endroit où vous allez et dès que vous l’avez repéré,
la route a l’air de vous conduire, partout où vous passez, à travers les forêts,
le long des rivières, devant les écoles, les jardins et les hôpitaux,
à travers les banlieues, dans les tunnels, partout où la route vous emmène,
un sens est donné grâce à ce nom que vous avez lu sur le panneau.
Dans la vie, je pense que c’est le nom d’une personne, plutôt que d’un lieu,
qui peut donner un sens à ce qu’on cherche. Une personne qu’on désire
ou une personne qu’on admire. »

John Berger, Qui va là ?
%##1@ Grande d’Espagne.

Belle et sombre, paru en avril dernier aux éditions Métailié, est le sixième livre traduit en français de Rosa Montero, journaliste à El País et romancière célèbre en Espagne. Après la légère déception de Instructions pour sauver le monde (2010), on la retrouve ici au sommet de son talent. Atroce et féérique, sensuel et déchirant, ce récit d’enfance dans le « Quartier », une périphérie glauque d’une ville indéfinie, envoûte par sa langue intense, fervente, pleinement rendue par la traductrice Myriam Chirousse. L’occasion de republier ici un entretien avec Rosa Montero réalisé en 2004, pour l’hebdomadaire suisse Femina, à l’occasion de la parution en français de La Folle du logis.

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- juillet 2011
%##3@ Une femme du monde.

Animée d’une curiosité sans bornes pour toutes les facettes de la réalité humaine, Lieve Joris a quitté très tôt sa Belgique natale pour parcourir le monde. Ancienne reporter, elle a arrêté le journalisme pour pouvoir le pratiquer sous une forme idéale : s’immerger dans le quotidien d’un pays aussi longtemps qu’elle en éprouve le besoin, multiplier les rencontres et les déplacements, laisser mûrir les relations qu’elle tisse et les impressions qu’elle recueille. Elle restitue le tout dans des livres ciselés, qui donnent à comprendre en profondeur les sociétés et les individus, loin des abstractions et des raccourcis. Auteure de récits situés dans l’ex-Zaïre, en Syrie, au Mali, en Europe de l’Est ou dans les pays du Golfe, elle publie aujourd’hui L’Heure des rebelles : l’histoire d’Assani, un militaire tutsi plongé au cœur de la « première guerre mondiale africaine », ce conflit qui a embrasé à partir de 1998 la République démocratique du Congo, le Rwanda et tous les pays limitrophes.

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- juin 2007
%##1@ Une femme de ressources.

Passionnée d’histoire et de mythologie, Séverine Auffret met sa pensée pénétrante et sa vaste culture au service de sujets que sa discipline, la philosophie, a tendance à délaisser. Battant en brèche l’idée reçue selon laquelle le bonheur n’a pas d’histoire, elle s’attelle, dans Aspects du Paradis, à rechercher les chemins du Paradis terrestre ; dans Des blessures et des jeux, elle recense quelques-unes des stratégies imaginaires que nous sommes capables de mettre en place pour faire pièce à notre impuissance quand le malheur frappe. Avec ses amies Nancy Huston et Annie Leclerc - déjà présentes dans ces pages -, elle partage une certaine conception du féminisme, pensé comme une exploration de la différence et non comme sa négation. Une position affirmée dès son premier livre, Des couteaux contre des femmes, qui avance des hypothèses passionnantes sur l’origine de la domination des femmes et des mutilations sexuelles qu’elle continue d’impliquer dans certaines régions du monde.

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- septembre 2005
%##3@ Dans l’air frais de la nuit.

« Un système sorcier sans sorciers », c’est ainsi que Philippe Pignarre et Isabelle Stengers définissent le capitalisme contemporain, qui opère en nous frappant de paralysie et d’impuissance, en nous forçant à la résignation. Le discours de tous les dirigeants politiques depuis vingt ans peut se résumer par : « Je vais vous expliquer les contraintes inexorables auxquelles notre action est soumise ». Pour s’arracher au sortilège, on est obligé, affirment les auteurs, « de penser, pas de dénoncer » ; de se réapproprier les problèmes que les experts voudraient confisquer, de trouver le moyen de les formuler autrement. Mais il faut surtout « apprendre à se protéger » : héritiers d’une culture qui a balayé les formes de savoirs précapitalistes, nous sommes des ensorcelés qui ne croient pas à la sorcellerie, et c’est peut-être ce qui nous y rend particulièrement vulnérables... S’inspirant de l’Américaine Starhawk, dont on a déjà parlé ici, et de ses sorcières néopaïennes et altermondialistes, Pignarre et Stengers invitent à penser et à agir « à partir de ce qui nous attache », à réactiver ce qui fait notre force, et qui crée, entre les millions de « petites mains » du capitalisme et ceux qui le refusent, « une différence de nature, bien plus qu’une opposition ».

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- février 2005
%##1@ Une disponibilité infinie.

Dans une démarche initiée en 1998, avec Comment supporter sa liberté, Chantal Thomas mêle l’analyse littéraire et les bribes d’autobiographie, instaurant une relation fusionnelle et fructueuse entre le lu et le vécu. Animée d’un farouche esprit d’indépendance, elle a refusé de mener une existence d’adulte telle que l’envisage la société, préférant prolonger indéfiniment les éblouissements de sa vie d’étudiante, « avec ses belles journées sans frontières », ses heures passées à lire, à se promener, à rêvasser, à converser, à savourer l’instant. L’atmosphère hédoniste et raffinée de ses essais se retrouve dans Les Adieux à la Reine (Prix Femina 2002), roman dans lequel cette grande connaisseuse du XVIIIe siècle raconte les journées de juillet 1789 « en creux », à travers la panique qui s’empare des nobles résidant à Versailles. Souffrir, son dernier essai, invite à ne pas refouler la souffrance sans pour autant lui céder un pouce de terrain superflu. S’inscrivant en faux contre les stéréotypes du bonheur propagés par la société du spectacle, elle leur substitue un contre-modèle fait d’un mélange de lucidité et d’allégresse inaltérable.

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- juin 2004
%##3@ Penser sans entraves.

En 1974, avec Parole de femme, le féminisme faisait un pas de côté. Annie Leclerc s’y préoccupait davantage de revaloriser tout ce qui s’attache traditionnellement au féminin, et qui lui semblait précieux non seulement pour les femmes mais pour la société tout entière, que de s’emparer des prérogatives des hommes. Elle revendiquait certes la liberté d’avoir accès, autant qu’un homme, à tout ce qui compte - la pensée, par exemple : elle est enseignante de philosophie. Mais elle se méfiait des bouffonneries vaines du carriérisme et du pouvoir, auxquelles elle préférait les joies obscures du quotidien. Récemment réédité, ce coup d’éclat d’une femme « entichée de vie » est plus que jamais d’actualité, au moment où le travail suscite des souffrances de plus en plus grandes et où le piège du carriérisme se referme sur les femmes comme sur les hommes. C’est aussi cette foi tenace dans la vie et ce goût de la réflexion sans concession qui ont animé Annie Leclerc, plus intéressée par ce qu’il y a à comprendre que par les jugements péremptoires, lors de ses quinze années d’atelier d’écriture en prison. Elle vient de les raconter dans un livre tranquillement subversif, d’une sagacité imparable : L’enfant, le prisonnier. Rencontre.

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- octobre 2003
%##1@ L’entremêleuse.

On aime l’essayiste pour la sagacité avec laquelle elle démonte les antagonismes entre le corps et l’esprit, l’art et la vie, le réel et l’imaginaire, la création et la procréation, la nature et la culture, et pour sa capacité à nourrir sa réflexion de ce que lui inspirent ses sensations physiques, ou les tâches du quotidien, autant que les références littéraires. On aime la romancière pour sa sensualité, pour son talent à dire les éblouissements de l’amour et les beautés de la vie aussi bien que la violence, la folie, la perversion, la tragédie ; pour cette écriture qui fouille la chair de son lecteur autant que celle de ses personnages. La parution de Une adoration, son nouveau roman, était une bonne occasion de rendre visite à Nancy Huston, écrivaine à l’existence démultipliée - par une aisance égale dans les registres francophone et anglophone (d’origine canadienne, elle est installée à Paris depuis trente ans) ; par la « quatrième dimension » que lui offrent les pouvoirs de l’imaginaire ; et par sa conscience heureuse, aiguë, de toutes les histoires, toutes les idées, toutes les richesses qui lui viennent des autres, et qu’elle s’est incorporées au cours de ses 49 ans de vie, à travers, dit-elle, « mes rencontres, mes amours, mes lectures, la maternité, l’amitié, les voyages ». « La solitude c’est la plus grande illusion de notre espèce », affirme l’un de ses personnages ; peu de gens repoussent aussi résolument et aussi loin qu’elle les parois du « moi ».

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- juin 2003
%##3@ L’éclaireur.

En ce mois d’avril 2003, en pleine guerre, Roland Huguenin est porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Bagdad. Un engagement cohérent avec le parcours de ce Suisse globe-trotter, tombé amoureux tout jeune d’un monde arabe qu’il arpente depuis bientôt trois décennies. Il y a deux ans, il avait démissionné du CICR pour se consacrer à son travail de conférencier et d’essayiste, avant d’accepter de rempiler, à l’automne, pour partir en Irak. Lorsque que nous l’avons rencontré, l’été dernier, à Paris, il a évoqué pour nous son parcours de délégué du CICR atypique, en poste au Caire pendant treize ans, et les initiatives culturelles qu’il a menées à bien à ce titre dans tout le Maghreb et le Moyen-Orient. Révolté par les discours qui tracent plus ou moins insidieusement un fossé infranchissable entre l’Occident et les pays musulmans, rejetant ces derniers dans une altérité irréductible, il se consacre avec une probité rare à la lutte pour la justice, contre les préjugés et l’ignorance.

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- avril 2003
Un intellectuel clandestin.

Ecrivain, formateur pour adultes pendant trente ans et à ce titre observateur sensible du monde du travail, de ses mécanismes, de ses non-dits, Jean Sur était surtout connu de nous pour ses entretiens avec son ami l’orientaliste Jacques Berque. Après la mort de celui-ci, il lui avait écrit un court hommage qui était en même temps un texte politique éblouissant, par sa hauteur de vue chaleureuse, par ce qu’il ébauchait d’une articulation encore possible et désirable entre le personnel et le collectif. Depuis, on l’a rencontré, et on a lu d’autres livres de lui : l’un sur Mai 68, déroutant par sa manière inédite d’en témoigner et de déborder son sujet, l’autre sur son expérience dans les entreprises. Il défend la conviction que l’engagement militant est trop tapageur, induit trop de contraintes subtiles et de relations biaisées pour pouvoir provoquer un changement. A ses yeux - comme aux yeux de Jacques Berque autrefois - « le mal atteint l’anthropologique », et nécessite d’autres recours. Pour cet intellectuel inclassable, recalé des catégories existantes, rétif à tous les embrigadements, Internet semblait le moyen d’expression idéal. Il vient d’ouvrir son site, Résurgences.

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- mars 2003
%##3@ « Membre d’un peuple, mais d’un peuple du monde ».

Née à Istanbul, partie à quinze ans en Israël et vivant aujourd’hui en France, l’historienne Esther Benbassa se définit comme « intellectuellement attachée à l’Occident, émotionnellement à Israël, et ataviquement à l’Orient ». En collaboration avec Jean-Christophe Attias, elle a publié à l’automne 2001 Les juifs ont-ils un avenir ?. Cette fructueuse réflexion à deux voix remet en mouvement les représentations figées que la virulence du conflit israélo-palestinien nous fait manier chaque jour sans prendre le temps de les interroger. Inquiets de la tendance au repli qu’ils constatent au sein de leur communauté, les deux chercheurs pointent le danger que constitue, à terme, le fait de ne plus fonder son identité que sur la mémoire du génocide et sur la crainte de l’antisémitisme. Ils rappellent la tradition de créativité, d’amour de la vie et d’ouverture sur le monde dont est porteur le judaïsme diasporique, cette « identité paradoxale » avec laquelle le mouvement sioniste a voulu en finir.

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- juillet 2002
« La gratuité est un saut de civilisation ».

En 1995, Jean-Louis Sagot-Duvauroux publiait Pour la gratuité. Des années après, on est tombés sur ce livre qui articule à peu près tous les grands combats actuels : pour l’accès aux soins, pour le droit au logement et aux transports, pour la libre circulation de l’information et des œuvres... Surtout, la réflexion de Jean-Louis Sagot-Duvauroux aide à lever la malédiction qui pèse sur tous les désirs de changement. Non, dit-il, l’empire de la marchandise n’est pas partout. Et on peut, à partir d’îlots préservés de gratuité et d’autonomie, agir pour renverser la tendance ; avancer des propositions circonscrites, qui permettent de prendre de nouveaux bastions, au lieu de se cantonner à une attitude défensive en attendant des lendemains qui chantent. Tordant le cou aux arguments réactionnaires qui font la « mauvaise réputation » de la gratuité, il insiste sur son rôle civilisateur. Quand la valeur d’usage d’un bien supplante sa valeur d’échange, cela débouche sur des interrogations ambitieuses : comment tirer le meilleur profit de ce qui nous est offert ? Comment apprendre à être libres ?...

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- mars 2002
%##3@ « L’existence humaine dans sa plénitude ».

Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris, Augustin Berque réfléchit depuis des décennies au rapport des sociétés humaines à leur environnement ; il a publié plusieurs essais sur ce sujet. En 2000, il a synthétisé ses recherches et sa réflexion dans un livre dont la lecture constitue une passionnante odyssée intellectuelle et existentielle : Ecoumène. Il est aussi spécialiste du Japon, où il enseigne le fûdoron, l’étude des milieux humains, à l’Université de Miyagi. Profondément originale, érudite mais jamais intimidante, imprégnée de poésie et de sensualité sans que cela enlève rien à son sérieux - au contraire... -, son œuvre provoque une révolution douce et complète dans notre façon d’envisager notre position et notre rôle dans le monde, pour nous en suggérer de nouveaux, plus intelligents, plus harmonieux, plus féconds.

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- juin 2001
%##1@ L’imagination, entre le gouffre et le salut.

« Le sens commun est une forme de terreur »... « Ce que nous appelons liberté n’est que la capacité à dépenser de l’argent et à vivre dans la violence »... Depuis bientôt cinquante ans, le dramaturge anglais Edward Bond écrit des pièces de théâtre radicales, visionnaires, qui interrogent toutes les formes de la barbarie en poursuivant une seule obsession : comment être - comment devenir humains dans un monde ravagé par la guerre et par l’injustice sociale ? Son œuvre éclaire d’un jour nouveau et sans concessions le monde qui vous entoure, mais aussi le fond de vous-même. D’abord déroutante, elle dessine un univers singulier, cohérent, autonome, et devient rapidement essentielle aux yeux de ceux qui la découvrent. Entretien avec un homme à la fois très sérieux et très drôle, qui refuse de fuir le sens pour le divertissement, parce que c’est dans le sens qu’il étanche sa soif. Et la nôtre avec.

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- juin 2000
« Les idées sont vivantes et la vie est politique ».

Avec Demain et encore demain, son journal intime en vidéo, en 1998, Dominique Cabrera avait réussi à démontrer que les thèmes les plus personnels pouvaient être aussi les plus universels. Avec Nadia et les hippopotames, son nouveau film de fiction, qui se déroule pendant les grandes grèves de 1995, elle montre que le politique, le collectif, sont aussi des sujets très intimes. Qu’ils nous hantent, nous poursuivent et nous travaillent, comme l’Algérie hantait, poursuivait et travaillait les personnages de L’Autre côté de la mer, son premier long-métrage de fiction, en 1997. Autour de Nadia et les hippopotames, rencontre avec une cinéaste sensible et rigoureuse, qui refuse la posture du défaitisme.

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- mars 2000
%##1@ « Le théâtre aide à se mettre dans l’Histoire ».

A l’été 1970, les comédiens du Théâtre du Soleil, en quête d’un lieu pour répéter, prenaient possession des hangars de la Cartoucherie de Vincennes. Les spectateurs de 1789 ou de L’Age d’Or arrivaient à tâtons au milieu des arbres, dans la boue et l’obscurité - quand ils ne se perdaient pas. Trente ans plus tard, le chemin est mieux balisé, et toujours emprunté avec la même constance, le même enthousiasme. Le rêve s’obstine. Il traverse les modes et les époques, défie toutes les lois et tous les fatalismes, prouvant par-là sa justesse, sa solidité. Comment fait-on pour bâtir un univers personnel, autonome, unique, tout en restant aussi sensible aux soubresauts de l’actualité ? Nous sommes allés poser la question à Ariane Mnouchkine pendant une représentation de Tambours sur la digue, que le Soleil joue jusqu’au 14 mai.

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- mars 2000
%##3@ « Le travail de l’écrivain, c’est de montrer qu’il n’y a pas un “eux” et un “nous” ».

Cette rubrique est placée sous son égide depuis le début... Rencontre avec l’écrivain britannique John Berger, romancier, essayiste, critique d’art au regard d’une acuité rare. A 73 ans, il a toujours été à la pointe de la réflexion sur les grands mouvements du siècle : les migrations, le déclin du monde paysan, le néolibéralisme... Ses textes défendent la peinture comme un lieu de résistance et de communication souterraine entre les hommes, un lieu où se joue notre prise sur la vie et sur le monde. Romancier, il s’empare de sujets dits « de société » - le sida, les SDF - et les transpose dans un univers poétique qui n’appartient qu’à lui, ce qui a pour effet de les laver de tous les clichés qui, d’ordinaire, mettent en échec notre sensibilité. Nous publions aussi L’Exil, un texte de Berger paru en français en 1985, et qui était devenu introuvable.

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- octobre 1999
%##1@ L’intransigeant d’Alger.

Ex-chroniqueur insolent et virtuose du quotidien algérien El Watan, vivant aujourd’hui à Paris, Yassir Benmiloud, dit Y.B., 30 ans, a publié au printemps son premier roman, L’Explication. Dans ce fascinant polar politique se mêlent autobiographie et fiction, références occidentales et plongées hallucinées dans l’histoire de l’islam. Un cocktail déroutant, pourtant révélateur de la complexité de l’identité algérienne. Lucide, drôle, modeste, Y.B. ne triche pas.

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- août 1999
Comme elle respire.

Architecte d’intérieur et designer animée d’une constante préoccupation sociale, collaboratrice de Le Corbusier, Charlotte Perriand a traversé le siècle avec une énergie et un bonheur de vivre à toute épreuve. Intrépide, anticonformiste, fêtarde et baroudeuse, elle a désencombré les modes de vie, envoyant valser tout ce qui s’opposait à son impatience, tout ce qui l’empêchait de profiter pleinement de l’existence, s’efforçant de favoriser à son niveau l’épanouissement des possibilités de chacun. Portrait à partir de ses mémoires publiées l’année dernière.

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- août 1999
« La musique ne dit pas les choses, elle les fait ».

Inclassables et fiers de l’être, les Fabulous Trobadors concilient la célébration de leur quartier toulousain et l’ouverture à tous les mélanges, à toutes les influences. Parce que seul l’enracinement peut conjurer la désertification des lieux, parce que les abandons de terrain mènent au dessèchement des esprits. Claude Sicre et Ange B. réfléchissent pour nous à la montée en puissance du rap, aux musiques du monde, aux luttes sourdes qui se livrent entre courants musicaux et sous lesquelles affleurent les conflits sociaux.

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- février 1999
%##3@ Les racines du ciel.

« Si tu ne les domines pas dans ce qu’ils te disent, tu frotteras le cul des riches toute ta vie », lui disait sa mère, femme de ménage piémontaise à Monaco. Il a suivi son conseil au-delà de toutes espérances. Journaliste, cinéaste et surtout homme de théâtre, résistant, ancien déporté, il a pris tous les maquis du siècle et de la planète, été l’ami de Che Guevara et de Jean Vilar. Anarchiste, poète, facétieux et provocateur, Armand Gatti est une légende vivante. Pour lui, la véritable révolution ne peut avoir lieu que par la parole : « Lorsque le langage pourrit, la révolution pourrit. »" A 74 ans, Gatti travaille aujourd’hui avec des chômeurs, des toxicomanes, des délinquants, des SDF, qu’il aide à se dépouiller des identités réductrices imposées de l’extérieur et à qui il tente de rendre, à travers la maîtrise de la parole, la maîtrise de leur destin.

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- novembre 1998
Ensemble.

Quand Yamina Benguigui tourne, l’image est saturée d’énergie. Sa caméra magnifie les visages, son sens de l’écoute fait merveille. Mémoires d’immigrés, son documentaire-fleuve, a créé une onde de choc qui n’a pas fini de se propager. A la suite des témoignages, entre rires et désarroi, qui se dévidaient sur l’écran, les langues se sont déliées dans une communauté où le silence est souvent la règle. « Je voulais juste inscrire nos parents dans l’histoire », dit Yamina, elle-même née dans le Nord de parents algériens. Entretien, au moment où elle sort de plusieurs mois passés à sillonner la France pour participer à tous les débats de fin de projection où l’on réclamait sa présence.

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- novembre 1998
%##3@ Au-dessus des volcans.

Pendant des années, Dominique Sigaud, journaliste indépendante, a couru les points chauds de la planète. Mais toujours une obsession l’a poursuivie : comment raconter ? Comment transmettre ? Comment parvenir au cœur de la violence, au cœur du réel ? Ses interrogations ont fini par lui faire abandonner le langage médiatique pour la mener à la littérature. Après la guerre du Golfe avec L’Hypothèse du désert, après l’Algérie avec La vie, là-bas, comme le cours de l’oued, elle affronte dans Blue Moon la sauvagerie perverse des couloirs de la mort américains. Nous lui avons rendu visite.

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- novembre 1998
En orbite du monde.

Petite maison éclectique installée en banlieue parisienne, animée par Olivier Marbœuf et Yvan Alagbé, 26 et 27 ans, Amok publie des albums et des revues colorés qui mêlent graphisme, peinture, bande dessinée, photo et reportage, sur les déchirements de l’exil, les douleurs de l’immigration, les cités, la quête d’identité et de racines, le choc des cultures. Une démarche à la fois intimiste et ouverte, où se croisent des artistes de tous les horizons, de la Suède à la Croatie, du Liban à l’Espagne. Rencontre avec Olivier Marbœuf.

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- novembre 1998
%##3@ L’outsider.

Grande figure de la diaspora palestinienne, professeur à la Columbia University de New York, Edward W. Saïd a retracé dans L’Orientalisme - un livre qui fit date - l’histoire des préjugés anti-arabes et anti-islamiques en Occident. Il pose la question de la façon dont on peut appréhender « l’autre », sans l’enfermer dans les stéréotypes ; il montre la réalité du brassage des cultures, et l’absurdité des murs que l’on dresse entre elles. Il a fait de l’exil permanent une attitude intellectuelle : engagé, il échappe cependant à toutes les récupérations. Opposé aux accords d’Oslo, Saïd prend la défense de son peuple contre Israël, mais aussi contre l’autorité de Yasser Arafat, qui a fait interdire ses livres dans les territoires autonomes. Voyage au travers d’une œuvre dense et passionnée.

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- mai 1998
%##1@ Melting Bop.

Bernard Lubat est un agité du bocal. Toujours à fomenter des putschs verbaux, à casser les ambiances feutrées, à tonitruer grave, à monter des projets dingos, à construire des pyramides inversées... Fidèle à une certaine idée du jazz, Bernard Lubat fait tanguer tout ce qu’il touche. Et ça marche ! Avec ses amis de l’éponyme Compagnie Lubat de Gasconha, il a créé le festival d’Uzeste, dans les Landes. En rase campagne, Bernard Lubat réapprend le mouvement à la tradition, et vice-versa. Rencontre.

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- mai 1998
Bon chant ne saurait mentir.

Une voie royale s’ouvrait devant ses pieds. Ah ! le bel avenir ! Chanteuse classique, pépère, jamais déprimée, jamais enthousiaste. Et non. En vertu d’aléas biographiques - une rencontre avec Pasolini -, Giovanna Marini a bifurqué. A la recherche des chants paysans et politiques, elle sillonne, depuis les années soixante, les chemins de terre calabrais et les plans inclinés de Sicile. En 1975, elle a fondé, avec quelques camarades musiciens, l’école populaire de musique du Testaccio à Rome. Entre études ethnologiques et recherches musicales, Giovanna Marini ne choisit pas. Mieux, elle choisit de conjuguer toujours l’art et la vie. Elle a répondu à nos questions.

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- mars 1998
%##1@ Human Bomb.

L’indomptable Carlo Brandt a beau épater les publics français et suisse par son jeu électrique (il était l’Edouard II de Marlowe dans la Cour d’honneur au Festival d’Avignon en 1996, et on l’a vu en « marquis de Patatras » dans Ridicule de Patrice Leconte), il se fout un peu du succès et reste obsédé par l’envie de connecter son art à la révolte qui l’habite. Direct, corrosif, le comédien joue depuis six ans l’œuvre déstabilisante du contemporain britannique Edward Bond, dans les mises en scène de son complice Alain Françon. Questions à l’occasion de Check-up, montage de textes de Bond pour un spectacle qu’il a lui-même conçu et qu’il interprète. Entretien au Théâtre de la Colline.

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- janvier 1998
Repossession du monde.

Ses livres s’appellent Dépossession du monde, L’Orient second ou Mémoires des deux rives. Jacques Berque, orientaliste, traducteur du Coran, professeur au Collège de France, était à la fois érudit et poète, homme de terrain et homme d’esprit, idéaliste et lucide. Dans une époque obsédée par Maastricht, dans une Europe aux yeux résolument tournés vers le Nord, il militait pour que l’espace méditerranéen soit autre chose qu’une fatalité géographique. En le lisant, on mesure l’ampleur de ce que ce choix nous fait perdre. Mort en 1995, Jacques Berque laisse une œuvre riche, magnifiquement écrite, porteuse d’une vision du monde et d’une manière d’être, bien plus que d’une simple somme de savoirs.

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- janvier 1998
%##1@ Le fond de l’air est rouge.

Gosse d’ouvriers marseillais, enfant de l’Estaque, Robert Guédiguian est encensé partout, de Cannes à Aix-en-Provence. Son Marius et Jeannette file des claques à la morosité. « Mon film est plus présomptueux que la vie », explique-t-il. Là-dessus, pas de doute. Lecteur de Pier Paolo Pasolini en son temps, Robert Guédiguian sait qu’en dehors du champ de sa caméra, la classe ouvrière et sa culture particulière se noient dans le conformisme. Rencontre, à Lille, avec un cinéaste irréductible à Marius et Jeannette, irréductible à cette façade de naïveté.

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- janvier 1998
Le destin.

Réfugié en France, l’homme de théâtre algérien Slimane Benaïssa a écrit Les Fils de l’amertume pour dire en temps réel les déchirements de l’autre rive de la Méditerranée. Créé au Festival d’Avignon en 1996, interprété par des comédiens français et algériens, le spectacle est traversé d’un souffle poétique poignant et d’un humour ravageur - beaucoup de vie contre beaucoup de mort. « La scène est mon lieu de dignité, d’authenticité et de beauté », dit-il ; rencontre à Arras avec Slimane Benaïssa, homme grave, drôle et chaleureux.

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- janvier 1998
Périphéries, juillet 2011
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