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Il y a quelque chose de profondément déprimant dans la façon qu’on a aujourd’hui de considérer les identités comme des châteaux forts dont il serait urgent de remonter le pont-levis. Il semble qu’aux désastres créés par l’incompréhension, la peur et l’injustice, on ne soit capable de répondre que par davantage d’incompréhension, de peur et d’injustice. Il devient plus insupportable que jamais de regarder un débat télévisé : un jour - dans Mots croisés, sur France 2 - on entend le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, déclarer que « l’islam préoccupe beaucoup les Français, au point qu’il ne se passe plus un dîner de famille sans que le sujet soit évoqué » ; un autre, Paul Amar, dans une émission - On aura tout lu, sur France 5 - censée au départ traiter de la presse écrite, répète à en perdre haleine qu’« on assiste aujourd’hui dans notre pays à l’affrontement de deux cultures »...
Dans un contexte pareil, la lecture d’Enfants d’ici venus d’ailleurs, publié en 2002 par Marie Rose Moro, psychiatre responsable de la consultation transculturelle à l’hôpital Avicenne de Bobigny, est particulièrement revigorante. En puisant des exemples dans l’expérience passionnante de cette consultation ouverte à tous les migrants et à leurs descendants (ce qu’elle appelle la « clinique des banlieues »), en ne laissant jamais la culture oblitérer la singularité et l’humanité de l’autre, elle montre l’exemple d’une approche sereine, non-idéologique, basée sur la foi dans la « négociation », dans le dialogue et l’enrichissement mutuel. Elle s’inscrit en faux contre les attitudes qui nient la différence culturelle autant que contre celles qui en font le déterminant d’une sorte d’« essence » figée. Après l’avoir lue, on a très envie de la rencontrer (c’est chose faite : voir l’entretien publié par la revue en ligne Inventaire/Invention sous le titre « En venir aux mots plutôt qu’aux mains ») et de recommander son livre à tout le monde.
Marie Rose Moro dirige aussi une revue, L’Autre, sous-titrée Cliniques, cultures, sociétés et éditée par la Pensée Sauvage, à Grenoble. « La question de l’altérité est au cœur de la psychopathologie actuelle comme elle est au cœur de nos sociétés modernes, mouvantes, plurielles, métissées, écrit-elle dans la présentation. Pourtant nommer “l’autre” fut une entreprise difficile et complexe car si le concept s’impose, les mots effarouchent. Et si en nommant l’altérité, on la stigmatisait... Si au lieu de réunir, de contraindre à penser autrement, d’inviter à rêver, de donner envie de connaître, on séparait, excluait, enfermait ! Dire, nommer, définir, pour comprendre, pour connaître, pour étudier, pour donner envie de chercher encore et toujours du côté du singulier, de l’humain, de ce qui en nous ne peut être réduit à l’insignifiant parce qu’un autre l’a jugé comme tel ! Dire pour comprendre et pour soigner, dire pour se métisser, pour se transformer et pour faire reculer les limites de l’incommunicable, de ce qui est supposé n’être pas important car entrant dans une catégorie “autre” et non pas “même”. » La revue compte dans son comité scientifique des personnalités comme les ethnologues Jean Malaurie et Marc Augé. Elle en est à son neuvième numéro. Elle a consacré ses dossiers à des thèmes comme « Nourritures d’enfance », « La vie comme récit », « L’ennemi », « Désirs d’enfant », « Psychiatrie coloniale »... Le prochain numéro traitera des « Rêves, songes, présages ». On peut la trouver dans certaines librairies ou s’y abonner. Elle dispose d’un site qui devrait être bientôt remanié.
Marie Rose Moro, Enfants d’ici venus d’ailleurs, La Découverte, 2002.
Pour les Parisiens : J’ai rêvé d’une grande étendue d’eau, film de Laurence Petit-Jouvet sur les consultations de Marie Rose Moro (dont est tirée la photo ci-dessus), passera au festival Cinéma du Réel, au Centre Pompidou, le vendredi 7 mars à 19h et le samedi 15 mars à 15h30.
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