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En dehors de celles qui furent immortalisées par Jeanne Moreau (Le Tourbillon dans Jules et Jim de Truffaut, J’ai la mémoire qui flanche...) ou Anna Karina (La ligne de chance et Jamais je ne t’ai dit que je t‘aimerais toujours dans Pierrot le Fou de Godard), les dizaines de chansons composées par Rezvani dans les années soixante sous le pseudonyme de Bassiak sont longtemps restées en sommeil. L’artiste lui-même avait remisé sa guitare, se consacrant exclusivement à la peinture et à l’écriture ; de toute façon, il ne s’était jamais considéré comme un compositeur professionnel : ces chansons, écrites pour célébrer Lula, son amante de toute une vie, il les avait écrites, explique-t-il, « sans y penser vraiment », comme « un chant naturel venu de lui-même avec facilité, bonheur, facétie ». Il les interprétait pour leur cercle d’amis ; c’est parce que Truffaut faisait partie de ce cercle, et a eu l’idée d’en inclure une dans Jules et Jim, qu’elles se sont retrouvées sur toutes les lèvres.
Et puis, un jour, il y a quelques années, en visionnant Pierrot le Fou, la comédienne et chanteuse Mona Heftre, ancienne du Magic Circus de Jérôme Savary, a le coup de foudre en entendant Jamais je ne t’ai dit. De fil en aiguille, elle dévore les œuvres de Rezvani. Elle monte au Sentier des Halles un tour de chant avec les chansons de lui qu’elle a retrouvées dans ses livres. Elle finit par lui envoyer une cassette. Coup de foudre-retour : séduit, Rezvani lui a rendu visite avec Lula. Il en naît un disque, Tantôt rouge, tantôt bleu (Actes Sud), en 2000, sur lequel elle chante une vingtaine de ses chansons.
Revigoré par cette rencontre, Rezvani a repris sa guitare et réappris à en jouer pour lui composer de nouveaux titres, qu’elle a interprétés à partir de 2002 dans un merveilleux récital - notamment, à Paris, au Théâtre du Renard, petite salle du Marais au charme poussiéreux et suranné. Sous les doigts de cet homme, les chansons ont à peine jailli qu’elles font figure de classiques : elles s’impriment dans votre mémoire, et vous donnent l’impression de les connaître depuis toujours. C’est dire si on attendait avec impatience la sortie en disque de ce répertoire, Embrasse-moi (Le Chant du Monde). Il est encore plus beau que Tantôt rouge, tantôt bleu : mieux que le studio, l’enregistrement public restitue fidèlement la voix frémissante de Mona Heftre, son chant expressif, son charme mutin, sa gravité passionnée, si bien qu’il s’écoute en un seul et interminable frisson. Les années Lula, Quand tu t’endors, Sais-tu que tu es à peindre nue, sont de pures splendeurs. On s’écarte aussi parfois du registre autobiographique, par exemple dans La fildefériste, d’un humour noir irrésistible (« j’suis fou d’une p’tite femme de cirque / équilibriste à moto / (...) elle adore frôler la mort / j’eusse préféré qu’elle fût modiste / (...) Extraordinaire, fantastique / y a rien de plus maso-chic / que d’aimer un papillon / qui ne peut vivre qu’au plafond »).
Au même moment, chez Actes Sud, Rezvani sort le deuxième disque (sur six prévus !) de ses chansons chantées par lui-même, Vivre étonné (le premier, en mars dernier, s’intitulait Les Grains de beauté). Son interprétation n’est pas celle d’un professionnel, et sa voix chevrote parfois, mais elle ne manque pas de charme dans sa distinction hors modes. Si Mona Heftre, comme Jeanne Moreau, chante superbement ses chansons d’amour d’un homme à une femme, et si lui aussi se glisse parfois dans la peau d’une femme, certains titres sont sujets aux variations de sexe. Ainsi, Rezvani, sur son disque, chante les amertumes de la trahison dans Mon meilleur ami, et Mona Heftre, sur le sien, dans Ma meilleure amie ; l’angoisse du velléitaire devant le temps qui passe dans La dame d’en face, et Mona Heftre, dans Le monsieur d’en face... Ce duo-là, on n’est pas près de s’en lasser.
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