Au fil des jours,
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« Qui ne travaille pas ne mange pas », proclament les affiches du Théâtre de Gennevilliers, placardées ces jours-ci dans Paris. Tiens, se dit-on, un spectacle sur la refondation sociale du Medef ?... Non : sur l’univers du goulag, dont c’était l’une des devises de prédilection. Ah, d’accord... « La justification du travail, du travail à tout prix, au prix de sa santé, de son bien-être, de ses désirs les plus subtils, cette justification assénée depuis mon plus jeune âge, c’est qu’il faut manger. Celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas, disait le premier moraliste de l’ère chrétienne, repris depuis par deux de mes arrière-grands-mères, par mes deux grands-pères, mes deux grands-mères, mon grand-oncle, mes tantes, mon père et ma mère. (...) Lorsque je démissionnai, je crus vraiment que j’allais mourir de faim, par quoi on verra la force d’un conditionnement, mais ma mauvaise volonté me fit préférer la perspective de mourir de faim plutôt que de mourir à la tâche. » Ainsi parle Georges Wesson, héros des Aventuriers du RMI, court roman autobiographique de Jérôme Akinora, à l’ironie allègre et subtile.
Sur un coup de tête, il a tout plaqué : boulot, compagne, bel appartement, famille, amis, pour « entrer en RMI comme on entre en religion ». En sept chapitres délectables, voire franchement hilarants, il passe en revue les particularités, angoisses et avantages de sa condition, tout en observant avec une acuité impitoyable le pathétique manège des « insérés ». Le fourbe emmerdeur imprime une affolante dérive surréaliste à un « stage de CV » conduit par un formateur ressemblant à un maître-nageur (« le genre d’homme qu’on a un plaisir fou à rencontrer quand il vient vous chercher au fond de la piscine, mais qui agace en toute autre circonstance ») ; soutient face à son « agent-instructeur » harassé, au bureau d’aide sociale, qu’il ne saurait apprendre à « se vendre », comme on le lui conseille, puisque même les esclaves ne poussaient pas le masochisme aussi loin, laissant ce soin à d’autres, et que, de surcroît, c’est impossible ; découvre les joies du zazen, l’un des rares divertissements quasi gratuits à sa disposition ; voit fuir les conquêtes potentielles, qui ne trouvent aucun intérêt à faire l’amour si ce n’est pas pour « construire quelque chose » ; calcule, alors que personne ne lui a rien demandé, combien d’heures quotidiennes au travail sont consacrées à rembourser la voiture qui permet de s’y rendre...
Que le lecteur soit ou non dans la même situation que lui, il lui fait partager le plaisir euphorisant de la revanche par l’humour sur la bêtise haïssable de la mentalité dominante, mais parvient aussi à faire passer quelques vérités bien senties sur notre rapport collectif à la richesse, aux biens matériels, à la liberté, à l’autorité... Un coup de boutoir de plus dans les murailles sinistres de la forteresse Travail. Son recours aux travaux du sinologue François Jullien (l’une des références de Jean Sur, autre grand démystificateur de la « valeur travail ») nous rend Akinora encore plus sympathique.
Jérôme Akinora, Les aventuriers du RMI, L’insomniaque. Le livre, dont le manuscrit fut remis à l’issue d’une projection-débat d’Attention danger travail, est contenu dans le coffret DVD du film. On le trouve en librairie, mais on peut aussi le commander directement auprès de l’auteur (10 euros + 2 euros de frais de port) : 4, rue de la Garance, 30000 Nîmes.
Lire aussi, sur L’Interdit, le témoignage d’Alias, « Pauvre comme Job ».
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