Périphéries

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« Ils étaient partis en Egypte pour que Nahed montre à sa famille qu’elle avait bien trouvé un mari, malgré son travail de danseuse de cabaret, et pour que Stanley voie les pyramides et le Sphinx, qu’il monte sur un dromadaire et pour qu’il fume du haschich. Mais, arrivés au Caire, il s’était mis à l’insulter, elle et tous ses compatriotes, chaque fois qu’il voyait un âne famélique ou un mulet ployant sous son fardeau : “Regarde ! Mais regarde ! On voit ses côtes ! Vous êtes tous des sauvages !
Un beau matin, Nahed finit par jeter ses vêtements par-dessus le balcon de l’appartement de ses parents au Caire. Les voisins les ramassèrent dans la rue, et sa mère, à qui ce gendre plaisait bien, ne cessait de les rabrouer tous les deux : “Mais enfin ! Vous vous disputez pour des ânes que vous ne connaissez même pas !” »
Hanan El-Cheikh, Londres mon amour

« L’abbé Grégoire [dans son Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs, en 1788] consacre plusieurs pages à la condition de la femme chez les juifs. “Un autre obstacle à leur réforme, pense-t-il, c’est le peu d’estime qu’ils ont toujours eu pour les personnes du sexe.” Il continue en écrivant que “la considération pour les personnes du sexe est la mesure du progrès d’une nation dans la vie sociale”, après avoir cité la prière que les mâles juifs prononcent pour bénir Dieu qui ne les a pas faits femmes. Et Jacques Chirac [dans son discours sur la laïcité] de faire écho : “Le degré de civilisation d’une société se mesure d’abord à la place qu’y occupent les femmes.” On finirait par croire que la France est féministe depuis le XVIIIe siècle. (...) Il ne reste rien à ajouter, sinon à souligner les similitudes observables dans le traitement des juifs et des musulmans sur une relative longue durée. »
Esther Benbassa, « Le président Chirac en nouvel abbé Grégoire », La République face à ses minorités - Les juifs hier, les musulmans aujourd’hui

« Coupable d’avoir écrit L’Art d’aimer et, pour ce crime, exilé dans une région de réputation douteuse, Ovide y reçut une lettre d’un ami romain qui, après l’avoir couvert de bonnes pensées, le plaignait d’avoir à vivre parmi des barbares. “C’est moi le barbare, répondit le poète, puisque je ne les comprends pas !” »
Jean Sur, Un tandem infernal, sur Résurgences

« Ma mémoire s’abat sur moi dans les villes, les exils, semblable à un fleuve qui coule, envahi par les herbes et les boues, résidus de fleuves différents, et elle s’avance sur les terres d’autrui. »
Alia Mamdouh, « Bagdad : ces villes qui meurent dans nos bras », Autodafé (revue du Parlement international des écrivains), septembre 2001

« A part le ciel sans oiseaux
les noms mouillés des rues
les îles d’antan toutes submergées
comme une leçon oubliée de géographie
à part ma langue perdue à jamais
mes mots traduits à l’aide d’un dictionnaire
sans histoire sans terre sans eau
à part la presque douleur
de mon troisième exil
ça va. »
Aris Alexandrou (1922-1978), Acceptation, poème écrit durant son exil à Paris pendant la dictature des colonels en Grèce, 1969

« Vivre à l’étranger m’a permis d’avoir, vis-à-vis du pays d’origine et du pays d’adoption, un petit recul critique : je les perçois l’un et l’autre comme des cultures. La même chose vaut pour la langue : ce n’est qu’à partir du moment où plus rien n’allait de soi - ni le vocabulaire, ni la syntaxe, ni surtout le style -, à partir du moment où était aboli le faux naturel de la langue maternelle, que j’ai trouvé des choses à dire. “Ma venue à l’écriture” est intrinsèquement liée à la langue française. Non pas que je la trouve plus belle ni plus expressive que la langue anglaise, mais, étrangère, elle est suffisamment étrange pour stimuler ma curiosité. (Encore aujourd’hui, si je dois faire un article en anglais, je le rédige d’abord en français pour le traduire ensuite : perversion peut-être, perte de temps sans doute, mais sans cela j’aurais l’impression de me noyer dans des évidences trompeuses.) »
Nancy Huston, Lettres parisiennes - Histoires d’exil, correspondance avec Leïla Sebbar, 1983

« Ainsi donc, un sondage commandé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) révélerait une progression du racisme et de l’antisémitisme en France. Voyons un peu. Seulement 29% des sondés ont déclaré ne pas être racistes du tout. Pour le reste, 63% ont affirmé qu’il y avait trop d’Arabes dans leur entourage, 38% qu’il y avait trop de Noirs et 31% estiment que les Juifs auraient trop de pouvoir sur leurs vies de merde. Belle fourchette, messieurs ! Mais quelle sorte de Français a-t-on interrogé pour arriver à de tels résultats ? Il n’y aurait donc pas de Juifs français, ni d’Arabes français, ni de Noirs français dignes d’être sondés dans notre exemplaire pays de cocagne ? A moins que les 29% ayant déclaré ne pas être racistes du tout représentent effectivement ces Noirs, ces Arabes et ces Juifs, ce qui en effet projetterait une progression inquiétante de leur présence sur “notre” territoire ! En vérité, ce n’est pas en faisant un sondage raciste que l’on arrivera à dénoncer au mieux le racisme, lequel demeure, hélas, une des tares les mieux partagées de l’humanité. Ce qui d’ailleurs ne doit absolument pas rester une fatalité, fût-elle exotique. Venceremos ! »
Toulouse la Rose, courrier des lecteurs des Inrockuptibles, 21 mars 2000

« C’est vrai qu’aujourd’hui, je suis à cheval entre deux cultures. Je vis dans le no man’s land que je me suis créé. Aujourd’hui, je ne suis plus déchirée comme il y a quelques années lorsque j’allais au Caire et que je devais serrer dans ma poche les clés de mon appartement à Londres pour me rappeler qu’il faudrait partir. Aujourd’hui, je n’ai plus de nostalgie. Je vis à Londres, je vais régulièrement dans le monde arabe, mais je ne pense pas que j’y vivrai à nouveau. J’ai mes habitudes de travail à Londres. Et puis il est difficile de se passer de la démocratie quand on y a goûté. Au Liban, c’est mieux qu’ailleurs mais ce n’est pas suffisant. Je n’ai qu’une vie, pourquoi subir et souffrir ? Je viens d’une société où les individus ne sont pas considérés comme des êtres humains tant qu’ils n’ont pas un certain statut social. Bien sûr, en Occident, je paye le prix de cette liberté d’une solitude sans appel. En quittant un pays, on se quitte un peu soi-même, et on n’y revient pas comme ça. Mon écriture change aussi : j’ai écrit deux pièces pour le Hampstead Theater dont les héros sont des Arabes vivant en Europe. Les identités déchirées m’intéressent de plus en plus. Cela dit, je continue et je continuerai à écrire en arabe. Finalement, mon pays, c’est ma langue. Ce qui manque le plus, c’est la musique, le chant du muezzin, la lumière de l’après-midi, avant le coucher du soleil. »
Hanan El-Cheikh, écrivaine libanaise, à Libération, 6 avril 2000

« Il se peut que les écrivains qui se trouvent dans ma situation, exilés, émigrés ou expatriés, soient hantés par un sentiment de perte, par la nécessité de reconquérir un passé, de se retourner vers lui, au risque d’être transformé en statue de sel. (...) Mais nous ne sommes plus capables de reconquérir ce qui a été perdu ; (...) nous créerons des fictions, non pas des villes ou des villages réels, mais des patries imaginaires, invisibles, des Indes de l’esprit. »
Salman Rushdie, Patries imaginaires

« A l’école, un de mes professeurs s’adressait toujours à moi avec un accent indien à la Peter Sellers. Un autre refusait de me désigner par mon nom et m’appelait systématiquement “le Pakistanais”. Refusant, à mon tour, de l’appeler par son nom, je me mis à utiliser son surnom. Ce qui ne manqua pas de m’attirer des ennuis : vives discussions, retenues, fugues et, au bout, la suspension. Tout cela faisait mon affaire. C’était l’idéal.
(...)
A la télévision, les comiques utilisaient les Pakistanais comme têtes de Turcs. Leur humour était hautement politique : il encourageait une certaine vision du monde. Cette réduction de la haine raciale à un sujet de plaisanterie avait deux effets. Elle exprimait une vue collective (cautionnée par sa diffusion à la BBC) et légitimait dans les millions de foyers anglais l’éloge du mépris. A cause de cela, j’avais peur de regarder la télé. C’était trop humiliant, trop dégradant. »
Hanif Kureishi, « Le Signe de l’Arc-en-ciel », Bradford

« Pour les immigrants et leurs familles, désordre et étrangeté sont les conditions mêmes de l’existence. Ils aspirent à une vie nouvelle et au progrès matériel qui l’accompagne. Mais après s’être arrachés à un monde pour se jeter dans un autre, ils ont aussi besoin, afin de maintenir leur unité, de tradition, d’idées coutumières, de stase. La vie dans le pays que vous avez quitté peut évoluer, mais la vie dans la diaspora est souvent figée dans une étrange suspension, comme si le fait même de s’exiler avait déjà causé une perturbation excessive. »
Hanif Kureishi, « Mon père voulait être écrivain », Bradford

« Selon les auteurs du rapport, les immigrés ont servi d’“amortisseurs de crise” pour les travailleurs français. Le rapport fait d’abord litière de l’idée reçue - mais tenace - selon laquelle “chaque fois qu’un étranger occupe un emploi, c’est un Français qui en est privé” (Alain Peyrefitte, le Figaro, 22 novembre 1985). Les économistes en ont depuis longtemps démontré la fausseté. L’Espagne n’est-elle pas le pays européen dont le chômage est le plus élevé et l’immigration la moins importante ? La Suisse n’est-elle pas dans la situation inverse ? (...) “Si les nouveaux arrivants sur le marché du travail ont exactement les mêmes comportements que les anciens en matière d’activité, d’épargne ou de consommation, de fécondité, etc., leur arrivée ne fait qu’augmenter l’échelle de l’économie, sans en modifier les paramètres fondamentaux”, constate le rapport. (...) En France, selon Cerc-Association, la présence des immigrés a atténué la violence de la crise sociale pour les travailleurs français. Entre 1975 et 1990, le taux de chômage des étrangers (non communautaires) a augmenté plus vite que celui des Français : il est aujourd’hui trois fois plus important. Mais, dans le même temps, leur niveau de consommation (et donc leur contribution à la croissance et à l’emploi) s’est rapproché de celui des Français. “Cette évolution renforce la présomption d’un impact positif de la présence des immigrés sur le chômage des Français”, conclut l’étude. (...) La précarité des immigrés, selon Cerc-Association, est en partie entretenue par des barrières légales. Environ 6,5 millions d’emplois stables et généralement qualifiés sont réservés à des Français (fonction publique, Sécu, médecins, avocats...). La “préférence nationale” chère aux extrémistes (et à Edouard Balladur) existe déjà en France, et Cerc-Association accuse ces législations de légitimer les discriminations illégales. »
Pascal Riché, « Les immigrés, pare-chocs de la crise », Libération, 17-18 avril 1999

« Où donc est ma patrie ? Ma patrie est où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »
B. Traven, Le Vaisseau des morts

« Jamais partis, jamais arrivés. Leurs cœurs sont des amandes dans les rues. Les places étaient plus vastes qu’un ciel qui ne les recouvrait point. Et la mer les oubliait. Ils distinguaient leur nord de leur sud, lâchaient les colombes de la mémoire vers leurs premières tourelles et capturaient chez leurs martyrs un astre qui les guidait à l’ogre de l’enfance. Chaque fois qu’ils disaient Nous y sommes..., le premier d’entre eux dégringolait l’arc des commencements. Toi le héros, laisse-nous que nous puissions te porter vers une autre fin. Périsse le commencement ! Toi le héros ensanglanté des longs commencements, dis-nous, longtemps encore notre voyage ne sera que commencement ? Toi le héros qui gis sur les pains d’avoine et le duvet des amandes, nous embaumerons de rosée la plaie qui tarit ton âme, nous l’embaumerons du lait d’une nuit éveillée, de la fleur de l’oranger, de la pierre qui saigne, du chant, notre chant, et d’une plume prise au phénix.
Et la terre se transmet comme la langue. »
Mahmoud Darwich, Au dernier soir sur cette terre, placé par Elias Sanbar en ouverture de son livre Les Palestiniens dans le siècle

« On se débarrasse à bon compte des voyageurs et du voyage en alléguant que presque tous les départs sont des fuites. Peut-être. C’est oublier qu’il y a des choses devant lesquelles on ne peut que fuir : des lieux familiers, des “raisons” qui nous chantent une chanson si médiocre qu’il ne reste qu’à prendre ses jambes à son cou. On part pour s’éloigner d’une enfance étouffante, pour ne pas occuper la niche que les autres déjà vous assignent, pour ne pas s’appeler Médor. A l’origine de bien des aventures il n’y a que ce refus pour motifs. »
Nicolas Bouvier, L’Echappée belle

« On ne vit pas tous au même pays : les eaux territoriales sont aussi dans les airs... »
Fullenbaum, Le petit livre des casseurs

« Être étranger crée une naturelle difficulté, parce qu’elle nous sépare du nationalisme. Elle nous démarque de la mentalité indigène : dès que notre histoire ose réfléchir nous n’appartenons plus à un pays, car nous bouleversons sa tradition, nous l’abattons. Nous devenons d’authentiques rebelles, indigents parce que les indigènes nous trouvent toujours un accent qui n’est pas des leurs. Je tiens l’étranger en moi - je le préserve - pour ne pas appartenir à une meute. »
Louis Arti, 1994

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Périphéries, juillet 2005
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