Périphéries

Chroniques du Faubourg de Béthune (Lille)

Impasse Verhaeren

C’est bien connu, le cartographe ou le satellite espion sont de drôles d’oiseaux. Vu du ciel, le Faubourg de Béthune a des airs d’éléphant. Concorde, c’est l’appendice nasal, la trompe qui ratisse large et alentour, comme un suçoir friand de violence et d’argent. Vieux Faubourg et Baltique, les larges oreilles en éventail, si larges que l’animal en dispose parfois afin de se voiler la face. Et puis les yeux du pachyderme, Verhaeren, dont les prunelles surveillent, du cocon de leur orbite, les mouvements des autres organes. Où l’on fond, en une plongée vertigineuse, sur l’ensemble Verhaeren, au Faubourg de Béthune.

La forteresse de Verhaeren a été bien conçue. Elle est imprenable, ou presque. Au nord, la plaine marécageuse du terrain de foot ; à l’est, les douves du périphériques ; à l’ouest, les remparts du boulevard de la Moselle ; et au sud, l’avenue Beethoven qui, avec son rideau de voitures et ses tentures d’arbres, fait office de Checkpoint Charlie. Planté là, un panneau ne laisse pas planer d’équivoques. Impasse. Voie sans issue. L’avenue Verhaeren est un cul-de-sac. Comme dire, « passage autorisé aux seuls résidents ». De toute façon, qui pourrait bien avoir l’envie de passer dans le coin et surtout, pour y faire quoi ?

La tour de la rue Courteline s’élance, et part gratter le ciel. De l’air, de l’air. Au seizième étage, sur une des terrasses, quelqu’un a entreposé un nain de jardin. Promesse d’un mari à sa femme, gage que le couple ne s’enterrera pas ici, le nain sourit, béat. Des gens passent une tête à la fenêtre, contemplent le vide, guettent le retour d’un enfant ou regardent, inlassables, le ballet des automobiles qui tournent autour d’une officine pimpante de restauration rapide. Au bas de l’immeuble, un pré carré déploie ses atours ludiques pour attirer les jeunes chalands, mais la bruine de novembre noie dans l’œuf tout désir de balançoire, tout rêve de toboggan. A l’ombre des tours, la boue transforme la course des gosses en épiques combats de catch.

Plus loin, l’ensemble HBM minaude. C’est que ces « habitations à bon marché » fêtent bientôt leurs soixante ans. A l’intérieur, une stèle rappelle les quatre morts à la guerre de la cité. La guerre ? Mais, quelle guerre, au fond ? Les lourdes grilles qui les encerclent et la construction même en quinconce de l’ensemble confèrent aux HBM des airs de citadelle art déco à l’intérieur de la forteresse Verhaeren. Tous aux abris ! Alors que s’éteignent peu à peu les premiers habitants, l’occupant jeune s’immisce subrepticement dans la vie du coin et investit les tours d’ivoire en catimini. Derrière les HBM, dans les jardins de Verhaeren que jamais personne n’emprunte, les chiens des uns et des autres défèquent, dans le vacarme du périphérique. Et puis, le terrain de foot comme dernier terrain vague.

Au tableau noir, trop noir. Poches pleines de carambars, le gamin efface le tableau noir dressé de Verhaeren. L’école. C’est important, ça. Il faut en parler de l’école. C’est elle qui taille des brèches dans la solitude de Verhaeren, qui dessine des lignes de fuite dans l’impasse. Le groupe scolaire de Verhaeren reçoit des élèves d’origines diverses. Mélange. Shake it, shake it. Les enfants de Concorde fraient avec les gosses de médecins du CHR, les marmots de la Baltique se mêlent à la marmaille de Verhaeren. Et, au beau milieu, l’école, nerf de la guerre, insuffle des spasmes de vie à l’ensemble.

Le tableau est effacé, désormais. Reste à y gribouiller de nouveau. L’éléphant barrit. Le quartier vit comme ça. Concorde aspire, Vieux Faubourg et Baltique font la sourde oreille, Verhaeren, l’œil du Faubourg de Béthune, ne se ferme jamais.

Thomas Lemahieu

Le jour où le père Noël est descendu sur le Faubourg de Béthune

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Urbanisme
Périphéries, décembre 1997
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