Périphéries

Extrait de L’Âge des possibles

« Le terrorisme de la mesure »

« Parce que ce diplôme, c’est quoi ? C’est un truc qui censément vaut quelque chose. En fait, c’est comme un bon. Un bon pour l’intégration sociale. (...) C’est deux, trois facilités pour rentrer dans le rang. Donc, bon, un jour tu te réveilles et tu dois choisir entre exercer ton petit commerce - et sourire à la dame - ou bien mettre la clé sous la porte. Eh ben, j’ai choisi, ça y est, j’ai choisi. C’est pas la peine de faire semblant. (...) Victimes de dressage abusif, voilà ce qu’on est. On nous dit... Qu’est-ce qu’on nous dit ? On nous dit : “Y a rien, alors tenez-vous à carreau !” Et c’est quoi se tenir à carreau ? Pas compliqué. Oh, pas compliqué, c’est rentrer dans le moule de ceux qui disent : en présence de rien, privilégier la structure, le cadre. Y a rien, donc qu’au moins le moule nous tienne debout... Mais en fait, tu te rends compte que tu peux très bien changer de vie du jour au lendemain. Y a même pas besoin de sas. (...) Leur truc... Tu veux que je te dise leur truc ? C’est le terrorisme de la mesure !... On a tellement peur qu’on s’amourache de n’importe quoi qui pourrait ressembler à une borne : un boulot, quelqu’un, et hop, on s’y amarre. Moi, je n’ai fait que ça. Au début par manque d’imagination, et ensuite par habitude. (...) Tu sais quoi ? Ce qui me vient en tête, tout le temps, c’est cette envie de me désolidariser. Pourtant, en soi, c’est pas un truc bien. Mais je veux reprendre mes billes, ça va bien là ! Je veux pouvoir penser à un truc même si c’est utopique et pas me dire que j’y arriverai jamais, ou que : à quoi bon. Parce que si tu y réfléchis deux secondes, nous, tout ce qu’on a le droit de faire, en ce moment, c’est assister à la faillite générale. Eh ben, ça va bien comme ça maintenant, je propose ! Tu vas me dire que c’est parce que Jacques et Denise se sont barrés chacun dans leurs trucs que je réagis comme ça, mais non non non... (...) Il faut se bâtir un truc, un endroit où tu es inatteignable, comme Jacques, comme Denise. Je dis pas inventer ou improviser, je pense que ça vient ou que ça vient pas. Mais si tu attends assez longtemps, y a un moment où il y a un truc qui te remplit. Moi, j’y crois à ça. Et jamais se dire que les choses sont des formalités. Rien n’est insignifiant. Se dire qu’à chaque étape, y a une alternative. Forcément. Donc regarder à droite, regarder à gauche, et choisir. Ou trouver une autre voie. En tout cas, pas faire semblant. Croire à un truc et y travailler, même si c’est naïf, même si c’est utopique. D’ailleurs, c’est ça mon programme, je propose, j’en vois pas d’autre : la naïveté, voilà. C’est un assez joli programme, franchement, non ? Si ? T’es pas d’accord ? »

Frédéric à Agnès,
Pascale Ferran, L’Âge des possibles,
publié par Arte dans la collection Scénars

Plus d’extraits sur le site des Chroniques du menteur

Entretien avec Robert Guédiguian
Du mou dans la corde, édito

Périphéries, janvier 1998
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