« Sur la quatrième de couverture de son livre, Philippe Val pose sept questions brèves qui sont comme les sept sceaux de la connaissance : “L’aventure humaine touche-t-elle à sa fin ? L’homme du XXIe siècle agit-il librement ? L’athéisme est-il un tabou ? L’amour nous éloigne-t-il de la guerre ? Les singes sont-ils fascistes ? Pourquoi avons-nous peur ? Comment être un homme des Lumières aujourd’hui ?”
On est saisi, intimidé, par l’importance de ces questions, et on ne peut s’empêcher de songer aussitôt à la question, la huitième, celle qui les résume toutes : “Est-ce que le ridicule tue ?”
Philippe Val étant directeur de Charlie Hebdo, on pourrait croire à un gag. Mais non. Depuis longtemps déjà, l’avatar d’Hara-Kiri mensuel a pris sa devise au premier degré, il est devenu bête et méchant, et seul le sérieux qu’il y met prête encore à sourire.
(...)
“Rien ne me prédestinait à écrire ce livre”, annonce Philippe Val, ébloui par l’inattendu enfantement de ce monument. Elevé chez les Oratoriens, il aurait dû rester idiot, catho, facho, mais voilà qu’un jour, en allant faire pipi au côté d’un condisciple, “dans l’enthousiasme du soulagement”, lui vient la révélation que Dieu n’existe pas. “Ce lieu d’aisances m’a été ce que le chemin de Damas fut à saint Paul.” Alléluia ! Voilà donc Fifi le Terrassé, contraint “d’arrêter net ses études à 17 ans pour faire de la musique, des chansons et du théâtre”. Mais ne croyez pas qu’il va se désintéresser de la culture, au contraire : Montaigne, Spinoza, Shakespeare, Freud, Schopenhauer, Deleuze, tous y passent et conduisent, que dis-je, destinent le jeune athée à écrire cet incroyable Traité de savoir-survivre. C’est l’œuvre d’un homme à part, décidément, un homme libre qui n’hésite pas à braver ses origines sociales et culturelles pour affirmer avec force qu’il a “conscience d’avoir conscience”, formule qu’il répète une cinquantaine de fois, comme pour la réinventer. C’est qu’on s’autorise beaucoup quand on est libre. “La liberté n’est rien d’autre que le chemin à parcourir pour accroître nos possibilités d’être heureux.”
Pour Philippe Val, le sommet de la liberté de jouir à laquelle chacun de nous aspire, c’est l’amour aux chandelles, avec une bouteille de “Château Pétrus sur la table de nuit”. Dommage, il n’y a pas de “Château Pétrus” (Pétrus est un seigneur qui n’a pas besoin de titre), mais on aura repéré au passage l’influence de Michel Onfray. Les grands esprits jouisseurs se rencontrent. Val, c’est du Onfray, mais en plus simple, si c’est possible, encore plus facile à comprendre, une sorte de vulgarisation de la vulgarisation qui n’est pas dépourvue d’une certaine vulgarité. C’est le risque quand on veut plaire : “Lecteur, si mon livre te donne l’intuition que la joie est moins inaccessible qu’il n’y paraît, j’aurai atteint mon but.” C’est beaucoup nous demander en effet, que notre joie demeure à la lecture de ce traité. Le désagréable, ce n’est pas l’inculture ou l’erreur - nous sommes assez grands pour ouvrir de vrais livres - c’est l’arrogance et le bruit qu’elle fait. »
Christophe Donner, Le Monde 2, 13 janvier 2007 (lire aussi sur ce site « L’obscurantisme beauf »)
« Il y a quelques années, dans une interview à Var-Matin, j’avais dit que Bertrand Py [le directeur éditorial d’Actes Sud] était le seul éditeur de ma connaissance qui lisait au moins quatre fois les manuscrits qu’il publiait. Dans l’article, c’était devenu : "Bertrand Py est le seul éditeur de ma connaissance qui lit au moins quatre pages des manuscrits qu’il publie." »
Rezvani, débat autour de son œuvre à la Garde-Freinet, 9 juillet 2005
« L’approche pseudo-équilibrée des médias, en particulier, me fait hurler. J’ai coutume de blaguer en disant que si Bush affirmait que la terre est plate, les journaux titreraient le lendemain : "Forme de la terre : les vues divergent". »
Paul Krugman, éditorialiste du New York Times, au Nouvel Observateur, 4 novembre 2004
« Est-ce que je te demande d’où tu viens, moi ? Tout ce que je veux savoir, c’est si tu as toujours été aussi jolie et qu’est-ce qu’il faut faire pour que tu arrêtes de parler ta langue de machine à savoir, ta langue sèche de rapporteuse syndiquée, et que tu parles enfin ta langue d’intérieur, celle qui va avec le sourire, celle des formes lisibles sous la robe tout à l’heure quand je t’ai vue de dos, celle qui n’a rien à voir avec ta langue de métier, ta carrière, ton gagne-pain. Je ne suis pas où tu me cherches. Si tu veux que l’on se comprenne, parle-moi ta langue de haute mer, ta langue de jeunesse, car au fond tu n’es guère plus âgée que moi, malgré ta carte de presse et tes frais de voyage. »
Monologue intérieur de Lucien l’étudiant haïtien face à la journaliste étrangère, Lyonel Trouillot, Bicentenaire
« Les trois animateurs avaient, de toute évidence, une idée et une seule : leur invité allait les confirmer dans la certitude que le duo Chirac-Villepin était en train de mettre l’Europe à feu et à sang. L’aspect comique de la chose vint de ce que M. le Commissaire, cool comme Raoul et resplendissant d’optimisme, n’était pas du tout, mais pas du tout, de cet avis. La crise irakienne ne changerait rien à rien. Rien aux finances européennes, rien à l’économie européenne, rien à la politique européenne. Notre trio crut avoir mal entendu ; il renouvela ses questions avec plus d’insistance. Nenni. Tout restait calme à Bruxelles comme à Strasbourg. On pensait à une erreur de casting. Tête en avant, (...) nos trois amis attaquaient sous tous les angles, se relayaient, tels des inspecteurs de série B cuisinant un malfrat, pour arracher à leur hôte, syllabe après syllabe, le constat catastrophique qui les aurait apaisés, mais qui hélas ! ne venait pas. Matou européen plein de civilité, M. le Commissaire sautait gentiment par-dessus toutes les barrières qu’on dressait devant lui.
Le comique de répétition finit par lasser. Et le fond de l’affaire n’était rien moins que drôle. L’effet paradoxal de la position française verrouillait ces trois importants dans un inextricable réseau de méfiance et de soupçon. On eût dit des compagnons menacés ensemble par une noyade prochaine et trouvant dans cette situation une solidarité extrême, mais d’adhérence plutôt que d’adhésion. Le souffle que retrouvait la politique française finissait pour eux en frisson glacé qui parcourait désagréablement leur échine. Une seule chose semblait leur importer : s’assurer qu’aucun poil de liberté ne dépasserait jamais de ce conditionnement socio-économico-politico-culturo-médiatique qui est le territoire inviolable de leur compétence, leur pain et leur vin, leur passion nécessaire, l’échiquier de leur scepticisme, l’image aseptisée et rassurante de l’univers cruel où ils souffrent pourtant avec nous.
Le monde comme réseau d’influences que des spécialistes analysent et commentent : les médiateux éternuent s’ils sortent de cette couette ; alors, tout leur devient danger. C’est de là-dessous qu’ils observent, qu’ils conseillent, c’est là-dessous qu’ils se sentent intelligents. L’air ordinaire ne leur vaut rien. On dirait que la vie les contourne. Je parie pourtant que ces trois complices auraient donné cher, ce soir-là, pour avoir la simplicité d’approuver Chirac. Impossible. À partir d’une certaine altitude, ils ne respirent plus. Ce que le peuple peut sentir, et ressentir, et consentir, ils se le sont interdit. Je voudrais comprendre. Pourquoi des gens ont-ils été dressés à snober le souffle qui passe ? Parce qu’ils le veulent éternel et qu’ils ont peur d’être déçus ? Pourquoi épousent-ils la cause du vide qu’ils décrivent ? Pourquoi s’interdisent-ils, ces jansénistes de l’image, la couleur, la surprise, un gramme d’abandon heureux ? Qui le leur impose ? Pourquoi ? Et pourquoi cèdent-ils ? »
Jean Sur, « Un tandem infernal », sur Résurgences
« C’était au moment de la guerre entre le Viêt-Nam et le Cambodge, on commençait à découvrir toutes les atrocités qui avaient été commises sous le régime de Pol Pot, alors j’ai pensé que ce serait une bonne idée de faire une tribune libre à ce propos dans le Temps et de solliciter un article de Bernald Thorer. Histoire de le faire cogiter sur autre chose que sa déprime. J’ai attendu, attendu, l’article ne venait pas, mais chaque fois que ma secrétaire l’appelait, il répondait que ça allait venir, qu’il avait encore besoin de réfléchir. On a reporté la tribune pendant deux semaines entières, je me suis dit que décidément les écrivains n’avaient aucune idée de ce que représentait l’actualité : déjà la situation politique du Cambodge avait évolué et je commençais à m’énerver sérieusement. Enfin, je trouve une enveloppe sur mon bureau avec marqué dessus : expéditeur, Bernald Thorer, et cetera. Je l’ouvre et j’en extrais… un feuillet unique. J’ai cru à une mauvaise plaisanterie. Il y avait presque rien écrit dessus, à peine quelques mots : "C’est horrible", "non", "c’est - - - - -", des mots illisibles, et même des sortes d’onomatopées genre bande dessinée : "Aaaargh." Je me suis dit : mais il se moque du monde ! J’étais vraiment en colère. J’ai décidé que c’était la dernière fois que j’essayais de rendre service à Bernald Thorer. La tribune libre est parue le lendemain, sans lui évidemment. Je ne mesurais pas encore la gravité de sa maladie. Je n’ai parlé à personne de la lettre que j’avais reçue, sauf à Marilyn, et elle a dit qu’elle la trouvait plus intelligente que les articles qu’on a publiés. Très drôle. »
Nancy Huston, Les variations Goldberg
« Depuis des années, les programmes de radio ou de télévision sont hachés par des pauses publicitaires à la fois plus bruyantes et plus envahissantes. A leur tour, ces programmes sont diffusés dans les cafés, dans les restaurants, dans les supermarchés. Tout cela se fait naturellement, sans résistance. Imagine-t-on la réaction des responsables des médias, des auditeurs et des passants si toutes les dix minutes un porte-parole du gouvernement intervenait dans toutes les émissions - c’est-à-dire aussi dans les cafés, dans les restaurants, dans les supermarchés - pour y lire un communiqué officiel ? Le scandale serait épouvantable ; on hurlerait à la domestication des ondes, à la dictature. On aurait raison. Est-ce alors parce qu’il est vendu au plus offrant, c’est-à-dire aux plus riches, que le pouvoir de débouler sans cesse dans les cerveaux et dans les âmes serait devenu moins redoutable ? Le droit de l’argent vaut-il dorénavant absolution pour toutes les manipulations de l’esprit ? »
Serge Halimi, « Liberté de la presse, censures de l’argent », Le Monde diplomatique, août 2001
« La seule honnêteté réside dans la subjectivité et non pas dans le consensus. Je pense qu’on ne peut pas vivre sans juger, sans se juger soi-même, sans juger les autres, sans juger chaque pas qu’on fait dans la vie, chaque idée qu’on a ou qu’on entend, chaque livre, chaque phrase qu’on lit. Tout le monde le fait, mais la plupart ne l’avouent pas. Le journaliste doit cependant garder, non pas une déontologie (j’ai horreur de ce mot), mais un idéal qui consiste tout simplement à vouloir rendre compte de la réalité avec des moyens honnêtes et subjectifs. C’est un rôle de héros, d’autant plus qu’on est tous de plus en plus perdus dans la vie. (…) Dans l’esprit des gens, l’objectivité correspond en général à la neutralité, or c’est une notion qui ne peut pas exister. Il faut assumer ses choix, sa vision personnelle, puis il faut faire confiance au fait qu’on n’est pas tout seul, que d’autres subjectivités peuvent, elles aussi, rendre compte de la réalité. Mais la réalité, elle, existe. Si on veut décrire l’éléphant quand on est aveugle, il suffit de se mettre à douze ou à vingt et de tâter ses cuisses. »
Marcel Ophuls, entretien avec Antoine Spire, Après les grands soirs, revue Autrement, septembre 1996
« Toutes les formes de communication devraient être angéliques - le langage lui-même devrait être angélique – une sorte de chaos divin. Au lieu de cela, il est infecté de virus autoreproducteurs, cristallisé à l’infini par la séparation, par une grammaire qui nous empêche de tuer notre Père le Néant une bonne fois pour toutes. »
Hakim Bey, L’art du chaos
« Ce qui m’intéresse, c’est cet espace lisse qui peut être peuplé de façon créative. Le cinéma, c’est plein, c’est souverain, ça a toutes les formes. Mais la télévision est encore à venir et c’est ce qui est beau dans la télévision. »
Pierre Chevalier, responsable de la fiction de La Sept-Arte, Libération, 12 mai 2000
« Ce que je ne veux pas, c’est le reporter télé ; ça, c’est l’horreur. Les reporters télé sont grillés. Ils ont acquis des techniques cyniques, des approches méprisantes. Ils font la chasse aux cons, tout ce que je déteste. Ils volent quelque chose, ils ont un instinct de tueurs. (...) La télé, elle, marche de façon abjecte : on définit à l’avance des caractères, on fait un casting pour les reportages et il y a des trous du cul qui vont les chercher. Si ça ce n’est pas idéologique ! Ce serait moi le journaliste engagé et pas eux ? Ce sont eux les vrais journalistes engagés. Claire Chazal est mille fois plus engagée que moi ! Elle risque sa peau pour Balladur, sur qui elle écrit un bouquin. (...) J’ai fait de la télé avec Pascale Breugnot, dans une émission qui s’appelait Moi je. (...) J’en garde un très mauvais souvenir : une expérience courte mais infernale. Faire de la télé, c’est infamant. A l’époque, je ne savais pas encore comment la télé fonctionnait. Aujourd’hui, on connaît bien ce "cynisme conformiste", comme dirait Castoriadis.
(...)
La plupart des journalistes sont assignés à l’événement. Pour eux, l’événement, c’est ce qui surgit ; on attend, on regarde les dépêches et on part. Nous, à Là-bas si j’y suis, on ne regarde pas les dépêches, on se dit "Où est-ce qu’on pourrait partir ?" C’est une autre question. 90% des journalistes ne comprennent pas ça. On n’est pas assignés à l’événement, on se demande ce qui est important en ce moment. En 1991, on est allés en Russie, en pleine euphorie générale, et on nous a dit : "C’est la merde." On est passés pour des staliniens, alors qu’on avait rapporté des témoignages d’anciens du goulag, que personne n’avait eus par ailleurs. En gros, on a pas mal reflété l’époque, avec nos moyens à nous et avec notre style. D’une manière pas si militante que cela. On a seulement été un peu chauds sur notre temps, en s’énervant sur notre époque, mais avec une vraie jubilation. »
Daniel Mermet, Les Inrockuptibles, 1er février 2000
« De toute façon, Laetitia [Casta] dort debout. Elle avance dans son rêve multimédia comme une belle girafe, en broutant son néant avec une grâce et un flegme absolus. »
Philippe Lançon, « Laetitia, casse-toi ! », Après coup, chronique télévisuelle, Libération, 20 décembre 1999
« Ce sont les femmes qui s’occupent de ce que Véronique Nahoum-Grappe appelle "les soins de proximité". Elles entretiennent à la fois la maison, les objets, mais aussi le lien social et familial. Et ça, dans la presse quotidienne, elles ne le trouvent pas beaucoup. Elles ne trouvent pas beaucoup non plus… de femmes, tout simplement ! Elles trouvent beaucoup d’hommes politiques, de sport ou de combats des chefs : tel patron contre tel autre, etc.
En revanche, que trouve-t-on dans les magazines féminins ? Des femmes ! Ce n’est pas rien. Certes, elles ne sont pas toujours présentées comme elles le souhaiteraient… mais au moins, elles sont présentes. Ces journaux, accusent-elles, montrent une femme objet, superficielle, infantile, niaise. (...) Mais ils donnent la parole aux femmes, ce qui n’est pas le cas ailleurs !
Il y a aussi la question du ton, qui est très importante. Dans la presse féminine le ton est très différent de celui de la presse d’information. Le locuteur dit souvent "je", est impliqué dans son discours, alors que le langage de la presse quotidienne est au contraire très distancié. (...) Pour les femmes, la parole consiste à tisser un réseau. Pour les hommes, la parole consiste à se placer dans une hiérarchie. Donc les hommes ne sont pas dérangés par cette parole un peu didactique des quotidiens. Les femmes, elles, sont en recherche d’une parole en réseau, avec des termes d’adresse, des phrases impliquantes. »
Sylvie Debras, auteur d’une étude sur la presse féminine et ses lectrices, interview dans Politis, 18 novembre 1999
« On a l’impression, en écoutant les enquêtées, que la presse, pour elles, pourrait être un espace de parole, de bavardage, qui viendrait remplacer l’échange qui ne se fait plus au quotidien, l’expérience qui ne se dit plus de la mère à la fille, les confidences qui ne se font plus entre voisines, à cause des emplois du temps minutés, des cellules familiales rétrécies.
Les femmes, mine de rien, vivent des situations extrêmes. Qui a fait l’expérience d’une grossesse et d’un accouchement sait que ce n’est pas rien ! On se retrouve à la sortie de la maternité totalement vide, triste sans savoir pourquoi. Avant, il y avait un relais : la mère, la tante, la cousine… Là, on se retrouve soudain entre quatre murs avec un enfant qui pleure, papa qui rentre à 19 heures et n’a pas forcément conscience que le désarroi de sa femme est normal. Cette situation n’existe pas dans la presse quotidienne : on n’a rien à en dire. Il faut lire Parents pour se rassurer ! Il faudrait que la presse généraliste arrête avec ses "sujets nobles" et qu’elle accepte le fait que la vie de tous les jours c’est noble aussi d’en parler. Pourquoi ne pas faire intervenir des scientifiques qui travaillent sur le post-partum, par exemple ? Après tout, on fait bien des unes sur le Viagra ! »
Sylvie Debras, auteur d’une étude sur la presse féminine et ses lectrices, interview dans Politis, 18 novembre 1999
« Comme ça, s’il n’y a pas de chiens écrasés, ils les feront eux-mêmes. »
Les Guignols de l’info, 7 novembre 1999, à propos des journalistes d’i-télévision, la chaîne d’info régionale de Canal+, qui sillonnent la France à bord de leurs camionnettes high tech
« Je voudrais vous parler de ma cité sous son vrai jour. Pas comme les médias nous la montrent ou comme les différents clichés que l’on peut entendre. Il n’y a pas que du rap, des pitbulls, de la violence et des voyous. Bien sûr je ne dis pas du tout qu’il n’y en a pas, je vous mentirais. Je crois que les gens voient tout de suite les côtés négatifs et ne s’attardent pas à observer les effets positifs. J’ai l’impression qu’ils ne préfèrent pas le faire. Ça me rappelle une histoire de cerveau droit. J’ai appris ça dans mon cours d’arts plastiques. Se servir du cerveau droit perfectionne les capacités à voir les côtés cachés du dessin. Par exemple lorsqu’on dessine deux profils exactement pareils aux deux extrémités de la feuille, on se rend compte que ça forme un vase au milieu. J’essaie souvent de me servir de mon cerveau droit avec les gens que j’ai du mal à comprendre. C’est ma méthode. Peut-être que si tout le monde faisait la même chose, on se comprendrait mieux. »
Faïza Guene - Petit traité topographique du Pantin d’une collégienne, ou la géographie affective de Faïza, 14 ans, par Marie Gauthier, dans la revue littéraire en ligne Inventaire/Invention
« Cette sacro-sainte déesse Information, devant laquelle ils feignent la prosternation, les journalistes la traitent en privé comme une marchandise avariée, monotone, répétitive. »
Daniel Schneidermann commentant le documentaire de William Karel Le journal commence à 20 heures (consacré aux coulisses du journal de France 2 et diffusé sur Arte), Le Monde, 17-18 octobre 1999.
« La priorité doit être redonnée à l’expérimentation, parce qu’elle ouvre, à tâtons, le champ des possibles. Cette posture de recherche et de découvertes permanentes, est infiniment plus pertinente que la pédagogie de la contemplation des œuvres, des savoirs constitués, du spectacle de l’actualité immédiate, de la course à la consommation. (…) Se pose la question de la transmission de la mémoire, du savoir-faire, du patrimoine, des idéaux. Même si ces idéaux ont été sensiblement malmenés par les événements du siècle, nous devons chercher les passerelles qui redonnent du sens à l’idée d’une communauté complexe et vivante qui se construit en capitalisant les acquis des "géants qui nous ont précédés", selon la belle expression de Newton. (…) Plus qu’une "révolution triomphale", la déferlante numérique constitue une opportunité. Qu’attendons-nous pour la saisir ? »
Pierre Bongiovanni, codirecteur du Centre international de création vidéo (CICV), « Pour un usage éclairé du Net », Libération, 23 avril 1999
« Evidemment, ce ne sont pas quelques émissions de télévision qui vont retourner une opinion publique. Mais je continue de croire que nous avions raison d’enfoncer un coin de la propagande, si minimes soient nos résultats. J’en veux beaucoup aux Occidentaux, qui n’ont rien fait ces dernières années pour aller écouter des discours différents à Belgrade. Depuis les accords de paix en Bosnie, on considérait Milosevic comme un interlocuteur, il ne fallait pas l’embêter chez lui. Jusqu’en 1997, le ministère des Affaires étrangères ouvrait ses banques de programmes audiovisuels à la télévision officielle serbe. Vous ne croyez pas qu’on aurait pu choisir d’autres partenaires ? »
Serge Gordey, ancien réalisateur de documentaires démocratiques et intercommunautaires sur les télévisions locales à Belgrade, Télérama, 14 avril 1999
« Je me trouvais bien à ma place : je pensais, j’étais libre d’associer mes idées, a contrario de mes confrères du journal parlé, ou plutôt lu, qui rapportaient les faits avec le même degré de liberté de parole que les porte-voix qui annoncent la météo. Je me disais, pauvres acteurs, éternels interdits de séjour, ils ne sont présents que dans leurs mimiques et les temps morts de leurs ponctuations incantatoires. »
Michel Steiner, Mainmorte
« Pour le moment, en tout cas, l’humanité subit une réduction d’avenir et un licenciement du passé, cependant que les médias assaillent les gens d’un nombre sans précédent d’images, dont beaucoup sont des visages. Ces visages nous apostrophent sans cesse, suscitant l’envie, de nouveaux désirs, l’ambition ou parfois la pitié, jointe à un sentiment d’impuissance. De plus, toutes ces images de visages sont traitées et sélectionnées de manière à nous apostropher aussi bruyamment que possible, si bien que l’appel de l’un de ces visages supplante et élimine l’appel précédent. Et dire que ces êtres humains en viennent à dépendre de ce bruit impersonnel pour se prouver à eux-mêmes qu’ils sont en vie !
Imaginez alors ce qui se produit lorsqu’on se trouve en face du silence des portraits du Fayoum, qu’on s’arrête devant des images d’hommes et de femmes qui ne lancent aucun appel, qui ne demandent rien, mais qui déclarent qu’ils sont en vie et que toute personne qui les regarde l’est aussi ! Ces visages incarnent, dans toute leur fragilité, un respect de soi oublié. Ils confirment, envers et contre tout, que la vie était, et demeure, un don. »
John Berger, « Enigmatiques portraits du Fayoum », Le Monde diplomatique, janvier 1999
« Le virtuel est vieux comme le monde. C’est la chanson de Brassens : "Quand je pense à Fernande, je bande"... »
Michel Serres à 00h00.com
« Clichés, métaphores usées jusqu’à la corde, paresse d’écriture, sont des manifestations du délabrement de la langue. Il en résulte que l’esprit s’engourdit, et que la langue, comparable à la musique de fond d’un supermarché, amollit le cerveau et l’amène en douceur à l’acceptation passive d’idées et de sentiments qu’il n’a pas acceptés. »
George Orwell La Politique et la Langue anglaise
« L’un de mes rêves secrets, je l’avoue, serait de m’introduire un jour à la télévision, m’asseoir à la place du speaker et donner les nouvelles en grammelot [imitation, sans contenu, des sonorités d’une langue] pendant toute l’émission. Je parie que personne ne s’en apercevrait. »
Dario Fo, Le gai savoir de l’acteur
« Engranger l’insignifiant dans la mémoire des résignés. »
Le rôle des médias défini par Raoul Vaneigem, Nous qui désirons sans fin
« Mon œil, c’est mon âme. »
Joël Robine, photographe AFP, Télérama, 13 novembre 1996
« Je crois que c’est ça notre métier : c’est de faire compliqué. Moi je crois que le terme d’objectivité est un terme qui n’a aucun intérêt dans les débats sur le journalisme. Ce qui est important, c’est qu’avant de proposer une grille d’analyse et d’explications, ce que chacun d’entre nous peut et doit faire, il faut rentrer dans la complexité des choses. »
Dominique Vidal, actes du colloque Être journaliste en Méditerranée, revue Méditerranéennes
« Un reportage sur l’Algérie ? Intitulé Vivre en Algérie ? Comment dire... On a beau y croire, ce qu’on entend une fois de plus, c’est Mourir en Algérie. On y va donc, mardi soir, à reculons. Il fait nuit, il pleut sur la France et on aimerait bien vivre. (...) Comme on ne connaît pas l’Algérie, le regard s’est enlisé depuis longtemps dans des images, toujours les mêmes, de témoins et de survivants des massacres, dans de gros plans sur miliciens, policiers, soldats en opération, dans des vues sur cadavres hypocritement effleurés par les focales. (...) Mais le cœur, le mauvais esprit, l’humour, où sont-ils donc passés ? Le regard du téléspectateur s’est perdu en Algérie comme ailleurs : on l’a noyé.
Et soudain le documentaire de Rachid Nafir, réalisateur de retour au pays pour y filmer ses amis, restitue ce qui manquait : la vie -dans le désastre et la peur, certes, mais la vie tout de même, et par-dessus tout. A Annaba, il installe d’abord sa caméra devant une table, face à une ancienne militante féministe, ronde et comique. "Pourquoi as-tu choisi d’être filmée dans ta cuisine ?" lui demande-t-il. "Ah ! C’est une longue histoire ! dit-elle. Quand il y a eu tous ces problèmes, on était très angoissés. Et quand je suis très angoissée, quand j’ai peur le soir qu’on vient me tuer, la seule chose que j’aie trouvée, c’est de faire une pizza à mes enfants." Devant elle, un bouquet de fleurs. Derrière, sa fille gourmande, qui grignote debout. "Alors, la pizza, je prenais tout mon temps, je la faisais avec un tel amour que mon angoisse partait. Et je les ai gavés de pizzas, mes enfants !" (...)
Elle raconte ça avec bonheur, sur un ton de fantaisie. Quelques minutes plus tôt, sur TF1, on a vu déjeuner deux ouvriers des chantiers du Havre. Il y avait, sur la table, une bouteille de Valstar, le mauvais jambon, le pain et les paroles d’angoisse. Il y avait ces gros plans sur les visages aux yeux rougis d’inquiétude, et l’on sentait que la caméra ne leur faisait pas de cadeau, à ces deux-là, qu’elle les empaillait dans leur apparence, en archétypes dévitalisés de victime prolétarienne. La femme d’Annaba, elle, rit et fleurit sur ses douleurs : "Par la suite, conclut-elle, j’ai remplacé la pizza par la confiture. Pourquoi la confiture ? Parce que la confiture, ça se conserve. Comme ça, je pourrai peut-être rester en vie." Les personnes interrogées sont ainsi : tout en actes et en dérision. Ce reportage leur rend à tous une énergie que tant d’images leur avaient retirée. »
Philippe Lançon, « Pizza et confiture », Après coup, chronique télévisuelle, Libération, 29 octobre 1998