Périphéries
La tyrannie de la réalité -
Revue de presse

Un essai de Mona Chollet
Editions Calmann-Lévy
368 pages - 17,50 euros
En librairie à partir du 24 août 2004

Présentation

« Depuis Montaigne, s’il est réussi, un essai c’est ça : un essayage, un recoupement, une hybridation des pensées d’autrui et des siennes propres en vue d’un ajustement inédit au monde (invitant, le cas échéant, le lecteur à faire de même). Le genre est paradoxal qui jongle entre réserve et envie de se jeter à l’eau, pour juger de tout et de tous à la toise de l’auteur. Il ne requiert guère de compétences particulières, mais quelques qualités lui sont pourtant essentielles dont l’attention à soi, l’hospitalité à l’autre, le sentiment de la fragilité de cette relation et, enfin, le rejet des lieux communs. Sur l’idée de réalité, la plus galvaudée à ses yeux des idées dominantes, Mona Chollet vient d’écrire un essai à contre-poil de l’air du temps : la Tyrannie de la réalité justement. Née en 1973 à Genève, elle y fait des études de lettres, puis fréquente l’école de journalisme de Lille. Vivant désormais à Paris, elle est animatrice du site de critique culturelle Périphéries, et collabore à des journaux suisses.
Les “guides” de Mona Chollet dans sa traversée de la réalité contemporaine sont des essayistes et des écrivains plus ou moins en rupture de ban : Annie Le Brun, Miguel Benasayag, Christophe Dejours, Nancy Huston, Rezvani, Robert Walser, Robert Louis Stevenson, Italo Calvino ou encore Flaubert et Bachelard. Quelques scientifiques et philosophes sont aussi du voyage, dont le géographe Augustin Berque, le physicien Bernard d’Espagnat, ou Michel Foucault...
Pour clouer le bec à quelqu’un, il suffit d’en appeler à la réalité. Les politiciens ou le Medef ne s’en privent pas, s’adressant indifféremment à qui a du travail ou à qui n’en a pas. Pour tous, le travail est devenu la valeur incontournable. Ne faudrait-il pas en revanche, comme pour toute autre activité humaine, évoquer moins le réel que le rêve, l’imagination voire l’utopie ? Le propos de Mona Chollet n’est ni aveugle ni bêta ni fiévreux, mais simplement réfléchi : “Je ne discute pas le fait que la vie puisse effectivement revêtir la dureté ou la laideur que lui prêtent les réalistes ; je remets en cause leur manière de l’appréhender manière héroïque, oui, c’est-à-dire cynique, sceptique, volontiers haineuse, leur façon de s’en retrancher avec mépris ou dédain, et de faire du réel un principe intégralement hostile, antagoniste à l’être humain.” Il persisterait dans cette surévaluation de “ce qui est” comme une démesure scientiste du XIXe siècle et le sentiment que quelque chose s’est irrémédiablement cassé dans la relation de l’homme avec le monde. Ce deuil d’une plénitude de l’existence grève par exemple la vie de Flaubert et déteint jusque sur le destin pitoyable d’Emma Bovary, la mauvaise rêveuse.
La conception d’une réalité supposée objective chez des gens qui se considèrent comme les champions de la rationalité ne tient nul compte de ce qu’en disent par ailleurs les scientifiques eux-mêmes. Depuis un certain temps, ils admettent sans problème que le projet d’une connaissance objective du réel est voué à l’échec quoique, comme le rappelle Bernard d’Espagnat, cette réserve soit souvent plus de forme que de fond. Le monde alors est à penser, surenchérit Augustin Berque, comme un milieu où viennent s’interpénétrer, en se donnant réciproquement un sens, sujets et objets. Mais l’attachement à un lieu ne serait-il pas contradictoire avec une autre vulgate contemporaine qui ne jure que sur le nomadisme ? D’un point de vue symbolique, le foyer est certes le centre du monde, là où le signe vertical croise l’horizontal, mais l’homme aussi ne fait que cela, avec en plus la faculté qui est la sienne de déplacer son centre de gravité. Le milieu d’appartenance ne serait alors aucunement une limite mais la condition concrète de l’ouverture à ce qui se trouve au-delà.
Comptant plus sur les métamorphoses individuelles que sur les palingénésies collectives, Mona Chollet n’est pas particulièrement militante. Cependant, sa démarche s’appuie moins sur l’individu que sur les singularités, de même que l’intérêt pour l’autre naît du souci de soi. L’amour de la nature n’est en rien chez elle celui d’une “baba cool”, et sa critique du rationalisme vise à réaffirmer les droits de la raison. L’ombre ne saurait servir d’excuse à l’aveuglement, mais son éloge doit préserver les territoires mouvants d’où la réalité prend son origine et, sans cesse, y retourne. Aussi ne trouve-on, dans la Tyrannie de la réalité, aucune défiance envers ce qui vient. »
Jean-Baptiste Marongiu, Libération, 9 septembre 2004

« “La réalité est le seul dieu que nous vénérons ; le dernier qui reste en magasin, peut-être.” Journaliste née en 1973, adoubée par Maurice Nadeau, Mona Chollet a décidé de partir en guerre contre la tyrannie insidieuse de ce nouvel épouvantail à moineaux qui a pour nom réalité. Un haro sur la langue de bois politicienne comme sur la télévision, ce “vaccin contre l’imprévisible”, qui vaut comme une apologie de la rêverie, celle qu’ont célébrée ses auteurs de chevet, de Bachelard à Walser en passant par Flaubert et Stevenson. Loin de rééditer la vieille opposition rêve-réalité, la Tyrannie de la réalité préfère distinguer un réalisme stérile, celui du repli et de l’appauvrissement, et un réalisme apte, au contraire, à réconcilier profondément raison et imagination. Délaissant volontiers l’analyse pour la polémique, et n’hésitant pas à prendre Michel Houellebecq dans sa ligne de mire, Mona Chollet signe ici l’un des meilleurs essais littéraires de la rentrée. »
Thomas Regnier, Le Nouvel Observateur, « Ovations », 23 septembre 2004

Voir aussi dans la Revue des deux mondes, janvier 2005 : « Quand l’imaginaire reprend la main », article de Thomas Regnier.

« Mona Chollet, animatrice du site Peripheries.net, nous livre un essai de grande qualité, une réflexion sur la société actuelle qui mène la vie dure à l’aliénation contemporaine, soigneusement distillée par les médias et quelques écrivains à la mode. L’objet de son livre surprend d’emblée puisqu’elle s’attaque à la notion, généralement intouchable, de réalité. Elle s’insurge contre cette uniformisation de la pensée, et note que “peu d’idées sont autant galvaudées que celle de réalité”, utilisée autant par les hommes politiques et les chefs d’entreprises que par les économistes ou les journalistes. (...) Ce livre étonne aussi par sa très grande érudition et par son mode de convocation des références chères à l’auteur. Mona Chollet a pensé son livre comme un “compagnonnage” avec tous ces auteurs que, “par goût”, elle a lus et continue d’admirer. Se présentant comme journaliste, elle fustige l’anti-intellectualisme si fréquent dans sa profession, tout en précisant qu’elle ne peut renoncer “ni aux turbulences de l’actualité ni à la recherche intellectuelle et à la prise de distance qu’elle implique”. Son “terrain d’enquête préféré”, là où elle s’épanouit le mieux, ce sont les textes, et on se doit de saluer la façon élégante qu’elle a de citer les auteurs : sans phrases intimidantes, coupées et modelées à souhait pour mieux briller, elle se borne à résumer l’ouvrage, afin de permettre au lecteur, qui ne l’aurait pas lu ou en aurait oublié le propos, de suivre sa pensée. (...) Mona Chollet nous apporte un filet salvateur de fraîcheur conceptuelle dans ce monde étouffant et moite. Qu’elle en soit remerciée. »
Olivier Doubre, Politis, 21 octobre 2004

« Enfin ! a-t-on envie de s’écrier à la lecture de ce livre. Enfin une plume pour plaider, à la fois avec fougue et bon sens, la cause du rêve et de l’ailleurs, des chimères qui sont le vrai carburant des idées. Mona Chollet, on la comprend, en a par-dessus la tête de ce catéchisme où d’aucuns - fort nombreux désormais - nous somment de plier nos aspirations aux lois froides du “réel”, sous peine de châtiment. Il n’y aurait en somme d’autre choix que de consentir aux évidences glacées (telles que M. Le Lay, des établissements TF1, a le talent d’en proférer) ou de passer dans le camp des sots rêveurs. Or, loin de se lancer bille en tête dans la énième défense d’une utopie somnambule, Mona Chollet défend au contraire avec finesse et conviction toute une anthropologie capable de faire leur place aux frontières, aux projets, aux désirs. Empruntant aussi bien à la littérature (bonnes pages sur le rôle capital de Flaubert dans cette affaire) qu’au cinéma ou à la philosophie, l’ouvrage gagne en force au fil des pages (belle envolée anti-Houellebecq). On le referme avec le sentiment joyeux que l’auteur a su éviter le piège de ce faux antagonisme entre le monde “vrai” et cet “autre”, non moins nécessaire, vital même, à une civilisation digne de ce nom. A ne pas manquer, ce rendez-vous réussi de la contre-culture héritée des sixties avec un regard courageux sur notre époque. »
Michel Crépu, La Croix, 16 septembre 2004

« Les moments de lecture jubilatoires sont assez rares dans la vie pour ne pas l’écrire - puisque l’écrit, justement, reste le “conducteur” de mots le plus durablement pensé. Mona Chollet, journaliste indépendante et animatrice d’un site Internet de critique culturelle, nous invite à un parcours à la fois initiatique et poétique à l’intérieur de son univers personnel, mais, surtout, à un voyage dans le monde dit “réel” tel qu’on veut nous l’imposer. Voilà le parti pris de ce livre dérangeant. Non pas le refus de “l’Etat existant”, mais bien, par le choix des références et la richesse des expériences citoyennes vécues, la mise en perspective d’une question simple posée par l’auteur : “La réalité serait-elle inéluctablement dans le camp des réactionnaires ?” Elle poursuit : “Au-delà des enjeux politiques, ce chantage récurrent révèle l’un des grands présupposés de notre fonctionnement à la fois social et psychique : la réalité constitue désormais la valeur étalon. On condamne résolument l’imaginaire et le rêve, perçus comme des enfantillages, comme les symptômes d’un désir de fuite, d’une incapacité à “affronter la vie”. De l’avis général, la sagesse commande de s’écraser le nez contre la vitre de la réalité, et d’agir en toutes circonstances en fonction des injonctions intimidantes qu’elle semble nous adresser.” Et elle précise : “Peu d’idées sont autant galvaudées que celle de la réalité...
Qu’il s’agisse de doctrine économique, de mode de vie, et même de relations amoureuses parfois (“l’exaltation, tout en suscitant le désir de prendre le monde à témoin, se heurte au scepticisme d’autrui, voire à sa commisération”, écrit-elle), le constat de Mona Chollet, qui se veut défricheuse d’idées, nous rappelle tellement notre vie sociale de tous les jours qu’on ne peut s’empêcher de sourire et d’acquiescer à chaque évocation, ou presque. Choisit-elle résolument une démarche intellectuelle... et politique ? Oui, bien sûr. Et tant mieux. Ce qu’elle appelle joliment “la conciliation de l’univers intérieur et de l’univers extérieur”, qui “ne va pas sans mal”, se transforme, sous sa plume, après l’exploration d’un “certain chaos” mis en abyme, en éblouissante leçon d’existence que deux mots pourraient résumer : utopie et combat.
Convoquant pour étayer sa démonstration-déconstruction un grand nombre d’écrivains, de philosophes, d’essayistes, de sociologues, de scientifiques ou de figures du monde culturel, Mona Chollet épingle la notion même de posture “réaliste” pour mieux dénoncer ceux qui s’en réclament, qu’ils soient hommes politiques, chefs d’entreprise, économistes ou écrivains pour qui seul le “réalisme”, en tout domaines, semble désormais recevable comme modèle. Ne renonçant ni aux turbulences de l’actualité ni à la recherche intellectuelle et à la prise de distance qu’elle implique, elle cherche comment sortir de “l’anti-intellectualisme ambiant” non pour “fuir la réalité”, mais “au contraire pour nous donner une chance de l’habiter pleinement”, autrement dit la changer et empêcher ce que certains appellent déjà “l’inexorable déclin social”. Des pages plus que salutaires en ce début de XXIe siècle. Disons même : indispensables. »
Jean de Leyzieu, L’Humanité Hebdo, 4 décembre 2004

« “Ce n’est pas réaliste !”, “Vous rêvez !”, autant d’injonctions à ne pas déborder la sphère étroite d’une réalité de plus en plus pesante. Deux auteurs très différents [l’autre étant J.-B. Pontalis, dans Le Dormeur éveillé, au Mercure de France] font la brillante démonstration que l’art du funambule consiste peut-être à vivre au plus près de ses rêves, sans pour autant perdre de vue le sol sous ses pieds. Mona Chollet a 31 ans. Cette journaliste indépendante a décidé d’exorciser les monstres de la précarité en explorant les facettes de ce réel présenté comme exemplaire et incontournable. Du réalisme de Flaubert à la platitude de Houellebecq, du positivisme triomphant à la télé-réalité, des pièges de la consommation à la pseudo-objectivité des médias, elle dénonce avec talent la “tyrannie de la réalité” qui frelate nos rêves ou les tue, et nous voue à la stérilité. Sans céder à l’illusion du retour aux sources - dont elle souligne avec brio l’exploitation commerciale -, Mona Chollet envisage de nouvelles voies à partir d’expériences individuelles ou collectives, vécues ou pensées par d’autres rêveurs, poètes, scientifiques ou philosophes. Subversif et stimulant, cet essai, loin de nous détourner du réel, conduit à le vivre autrement : à la mesure de nos rêves. »
Evelyne Bloch-Dano, Marie-Claire, septembre 2004

« Soyons réalistes, demandons l’impossible ! Ce slogan de Mai 68, Mona Chollet pourrait en faire sa devise. Il est bien plus vieux qu’elle, née à Genève en 1973, où l’on peut lire parfois sa signature dans Le Courrier. Dans un essai joyeux, très personnel et un peu ébouriffé, elle proteste contre “la tyrannie de la réalité”, ce principe que les chefs d’entreprise, les hommes politiques, les économistes aiment à convoquer pour couper les ailes à la pensée qui conteste leurs diktats.
Son livre est à la fois une suite de réflexions et un dialogue avec des auteurs dont la liste forme une famille très étendue. Le point commun entre Novalis, mis en exergue, Annie Le Brun, Michel Foucault, Robert Walser, C. F. Ramuz, Italo Calvino, R. L. Stevenson, John Berger, Nicolas Bouvier et Flaubert ? Sous différents habits, une liberté de pensée. Mona Chollet fait aussi référence à Nancy Huston, ce n’est pas étonnant quand on lit sous sa plume : “Je ne discute pas le fait que la vie puisse effectivement revêtir la dureté ou la laideur que lui prêtent les réalistes ; je remets en cause leur manière de l’appréhender - manière héroïque, oui, c’est-à-dire cynique, sceptique, volontiers haineuse, leur façon de s’en retrancher avec mépris ou dédain et de faire du réel un principe intégralement hostile, antagoniste à l’être humain.” Et quand Mona Chollet analyse les livres de Michel Houellebecq, le parallèle avec Professeurs de désespoir s’impose.
La Tyrannie de la réalité n’est pas seulement un livre de lectures mais aussi un lieu où déverser les réflexions qu’inspire le spectacle du monde comme il va : le discours de la télévision sur la guerre ; celui de la publicité sur le bonheur. La journaliste observe l’absurdité d’un système qui demande de travailler de plus en plus pour moins de rémunération tout en créant des cohortes de chômeurs. Elle constate le décalage entre les images et la vie : “Ainsi l’homme contemporain se voit refuser à double titre le contact avec la nature : en tant que salarié [...] et en tant que consommateur”, écrit-elle en citant le film de Laurent Cantet, L’Emploi du temps. Militante sans parti, elle prend la mesure de la vacuité des discours politiques.
Avec Nicolas Bouvier, elle pense qu’une des grandes erreurs de l’homme occidental est de croire qu’il n’a besoin de personne. Elle se fait de l’action une conception sympathique et modeste au risque assumé de se voir traiter de naïve. “Le renoncement à habiter sa vie, à lui accorder de la valeur, ne saurait être un parti viable”, écrit-elle. En cadeau, à la fin, elle transmet un haïku que lui a offert Nancy Huston : “J’ai dormi tout l’après-midi et personne ne m’a puni.” Elle ne dort pas tellement à voir son site de critique culturelle : peripheries.net. »
Isabelle Rüf, Le Temps (Genève), 4 décembre 2004

« Eloge combatif de la rêverie, du “souci de soi” au sens foucaldien du terme, La tyrannie de la réalité est le deuxième livre de Mona Chollet, que l’on connaît surtout pour être l’administratrice sur l’internet d’un site de critique indépendant de qualité, Périphéries. Son premier livre traitait justement de la “guerre de l’internet” ; plus ambitieuse, elle s’attaque cette fois au rapport contemporain à la notion de “réalité” telle qu’en usent et abusent les journaux et plus globalement l’idéologie contemporaine, ou comment mettre le monde en le rivant à un prétendu “sens” de la réalité (économique, sociale, politique...) aux allures de dogme, sinon de vérité absolue (la dernière ?).
Cela donne un objet étrange et paradoxal, intéressant par cela même (son projet) qui le rend improbable, sinon impossible. Non pas qu’il soit d’une lecture difficile (il est limpide, au contraire, enlevé, roboratif), ou qu’il soit particulièrement déroutant (il n’est néanmoins en certaines parties), mais par le geste même dont il témoigne ; un geste généreux, qui dispense la réflexion sans compter, et parfois la dispense jusqu’à sa propre dispersion, en multipliant à l’excès les généralités. Certains chapitres sont comme de longs éditoriaux, dénonçant ici le coût humain de la culture du profit et là la propension d’une certaine gauche à être exactement ce qu’elle dénonce : un instrument du spectacle permanent. Revenant sur Flaubert, éreintant Houellebecq ou plus exactement sa posture (et on peut juger la démonstration un peu courte d’être à ce point “à charge”), s’appuyant sur Bachelard aussi bien que sur Annie Le Brun, l’auteur s’étend longuement sur la physique quantique et plus particulièrement les ouvrages de Bernard d’Espagnat. Elle esquisse alors une distinction entre ce réel dont la physique confirme qu’il est ce qui échappe et pourtant gouverne nos vies (quand la psychanalyse ne dit pas le contraire, en parlant du réel insaisissable comme de “ce qui fait retour”) et la réalité, c’est-à-dire l’ensemble des représentations communes et singulières que nous habitons au quotidien des existences réglées, dans la langue partagée. C’est là que l’on peut regretter que La tyrannie de la réalité reste, par sa forme vulgarisatrice, enfermé dans cette réalité qu’il décrit dans l’espoir d’en modifier les contours plutôt que de chercher à y provoquer des failles avec et dans la langue, des failles où laisser revenir “du réel” dans notre réalité. »
Bertrand Leclair, La Quinzaine littéraire, 1er novembre 2004

« Ancienne élève de l’école de journalisme de Lille, Mona Chollet remet la réalité à l’endroit, et la soupçonne d’irréalité. Que chacun recule un peu et se déplace à distance de lui-même, donc du monde : il découvrira que le réel porte en lui sa duperie parfaite.
A l’aide de lectures ouvertes (Flaubert, Bachelard, Beckett, Rezvani, Nancy Huston, ainsi que Houellebecq, Annie Le Brun, Jean Baudrillard, et tant d’autres, sans oublier les journaux), Mona Chollet dénonce, sans manquer de suite dans les idées, l’omnipotence du fait accompli relayée par celle de l’évidence comme horizon borné.
Mais où le rêve peut-il se déployer ? Et peut-on songer librement, sans avoir à céder aux avances du tourisme industrialisé ou à se protéger des chenilles de velours d’une télévision dévoratrice ? Et peut-on, enfin, imaginer qu’imaginer cesse ?
Mona Chollet poursuit : “Que devient le système si ses victimes mettent la clef sous la porte, si elles ne sont plus là où il les attend ? Si elles refusent d’être desindividus, ’est-à-dire d’incarner l’instance sur laquelle le système repose tout entier ?
Journaliste devenue indépendante, l’auteur multiplie les questions d’une pertinence qui l’honore. Elle y répond en posant son expérience personnelle en moelle épinière du livre, un peu comme on plaque un accord : avec l’intrépidité qu’autorise le doute. D’où le ton de conversation soutenue qui baigne l’ensemble. »
J.R., La Voix du Nord, 15 octobre 2004

« Hommes politiques, stars ou personnalités, tout le monde parle de la réalité, s’en réclame et s’y attache désormais comme à une valeur incontestée. Mona Chollet, jeune journaliste engagée, trouve notre engouement un peu surfait. Dans ce copieux essai, très fourni en références et relativement complet, elle fait littéralement le tour de la notion de réalité. Sans s’attaquer au cœur philosophique d’une notion déjà abondamment étudiée, elle cerne un nouveau problème qui semble se dessiner : “La tyrannie de la réalité” serait de prendre à la lettre le stupide diction “Faut pas rêver”. Or, de Houellebecq aux journaux télévisés, il résulte une impression d’astreinte totale à la réalité. “L’expérience contemporaine la mieux partagée est peut-être celle de cet effroi, de cette angoisse taraudante, épuisante, qui interdit de se laisser aller à la rêverie, ce luxe inaccessible, ne serait-ce qu’un moment.” Militant pour une sorte de droit à s’absenter, l’auteur rétorque : “Le rêve fait figure de composant indispensable de la réalité”. Et elle parvient à le démontrer. »
Pascal Bories, Jalouse, novembre 2004

« Il existe des livres passeurs d’autres livres. La tyrannie de la réalité en fait partie. Il ouvre grand la porte de philosophes (par exemple le si agréable Gaston Bachelard), d’écrivains connus (Rezvani, mais aussi le génial et populaire Stevenson) et celle de moins connus (le si fin et peu orthodoxe Robert Walser). A l’aide de ces courants d’air salvateurs, Mona Chollet balaie devant la porte de la réalité. Celle au pied de laquelle tous les bien-pensants et les marchands, tous les abâtardis de la jugeote, abandonnent la fraîcheur de leurs idées, est ingrate, très ingrate ! Mona Chollet montre combien l’imaginaire, le rêve, la conduite des sentiments bien trempés forgent d’autres réalités, sensibles, qui ne plient pas devant les tyrannies des pensées réductrices. L’auteur nous parle ainsi des différentes facettes du travail d’Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil, et c’est un très bel exemple, parmi d’autres. »
Campagnes solidaires (mensuel de la Confédération paysanne), janvier 2005

« La société industrielle a réussi à détruire jusqu’à notre capacité à rêver en coupant notre monde imaginaire de la nature et en nous arraisonnant au “réalisme” prosaïque, politique, économique, et même littéraire. C’est la thèse que défend avec brio Mona Chollet, jeune journaliste et essayiste, dans La tyrannie de la réalité, en étayant son argumentation à l’aide d’auteurs aussi variés que Gustave Flaubert, Gaston Bachelard, Jean Baudrillard ou Annie Le Brun. La richesse des références convoquées dans cet essai montre que la critique de la société industrielle ne date pas d’hier et n’est heureusement pas confinée au mouvement écologiste ! (...) A propos de la nature, l’auteur remarque finement : “Il existe un lien étroit entre la préservation de la nature et celle de l’imaginaire : ce qui détruit le cosmos du dehors détruit le cosmos du dedans.” La nature, domestiquée, manipulée génétiquement, refaçonnée à l’image de l’homme qui a développé “une civilisation autiste qui rapporte tout à elle-même”. Il n’y a plus de mystère, plus de zones d’ombre, plus de secret. “Les grands rêveurs professent l’intimité du monde”, écrivait Gaston Bachelard, auteur d’ouvrages sur l’imaginaire symbolique. Le rêve n’est pas la fuite de la réalité mais une autre façon de l’habiter : un ouvrage qui donne aussi envie de rêver et de contribuer à d’autres mondes possibles ! »
L’Ecologiste, oct.-nov.-déc. 2004

« Bien sûr, il est parfois lassant d’entendre répéter qu’il faut regarder la réalité en face, ne pas la fuir, bien la prendre en compte, qu’il convient de ne pas l’oublier, etc. Servie à toutes les sauces comme argument suprême, cette réalité prétendument inévitable ne sert-elle pas d’alibi aux politiques de résignation ? N’est-elle pas évoquée, avant tout, pour qu’on lui obéisse, et pour qu’on finisse par se plier, aussi bien aux lois du marché et aux politiques d’austérité qu’aux disciplines du rendement ? N’a-t-elle pas pour fonction de masquer les forces du rêve, les puissances de l’utopie, les subversions de l’imaginaire, toujours nécessairement, au premier abord, irréalistes ? Ne cherche-t-elle pas à nous dissuader d’enchanter le monde, de le réécrire à notre gré ? Mona Chollet répond “oui” à chacune de ces questions. Avec un enthousiasme lyrique qui peut toucher, mais qui peut aussi faire sourire.
Ceux qui croient sincèrement que le travail moderne est un enfer, le règne de la consommation une horreur et l’altermondialisme une espérance se sentiront en terrain familier. Ils découvriront mille raisons de renforcer leurs convictions sous la plume de cette journaliste pas comme les autres, qui multiplie les références littéraires, poétiques et politiques les plus diverses, de Flaubert à Bernard d’Espagnat en passant par Gébé et Jean Sur. Ceux qui professent au contraire que l’argent, finalement, est une bonne chose, ceux qui sont persuadés que le capitalisme, après des générations qui échouèrent à en sortir, demeure le seul système viable, les véritables méchants et affreux, qui ne craignent ni les OGM ni les soixante heures de concurrence acharnée par semaine, se demanderont de quoi parle ce livre.
Finalement, cette évocation des bienfaits de l’imagination, variation sur un air célèbre de 1968 (“Soyez réalistes, demandez l’impossible”), ne convaincra que ceux qui le sont déjà. Ce phénomène fréquent appartient d’ailleurs à... la tyrannie de la réalité. »
Roger-Pol Droit, Le Monde, 27 août 2004

Deux critiques à lire en ligne : celle de Jean Sur sur Résurgences et celle de Gérard Delaloye sur le webzine suisse Largeur.com.

Périphéries, janvier 2005
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