Périphéries

Carnet
Avril 2000

Au fil des jours,
Périphéries explore quelques pistes -
chroniques, critiques, citations, liens pointus...

[09/04/00] Post-scriptum au panorama de la littérature suisse
Une aventure éditoriale dans les marges, de Marlyse Pietri

Vous pouvez habiter le village le plus reculé, l’asphyxie ne sera jamais purement géographique. Elle sera toujours culturelle, idéologique. Marlyse Pietri est de ces éditeurs qui, sur des territoires exigus, morcelés, confinés, augmentent la densité de fiction et de réflexion au mètre carré, et rendent l’air plus respirable en stimulant la circulation des idées. Pour les vingt-cinq ans de sa maison, les éditions Zoé, établies à Genève, elle se retourne sur son parcours. La petite enseigne non-conformiste, née « des énergies de 68 », est devenue une institution, ouverte et pointue. Marlyse Pietri édite Nicolas Bouvier et Jean-Marc Lovay, Robert Walser et Nicolas Meienberg, Bessie Head et Nuruddin Farah. Une succession de choix sur la corde raide : « La question de l’identité romande flottait au-dessus de ma tête comme une sorte de menace. Je la percevais comme une lutte obligée d’un pays coincé entre la France et la Suisse alémanique. Et pourtant, je n’avais jamais donné à mes plaisirs littéraires les couleurs d’une région. J’ai toujours glané mes lectures selon mes rencontres et mes affinités, avec une prédilection pour la littérature allemande. Mes écrivains préférés se trouvent dans toutes les régions de Suisse, jusque chez les Romanches [le romanche est la quatrième langue nationale, ultra-minoritaire, de la Suisse], en France, en Allemagne, en Afrique, en Amérique du Nord et en Amérique latine. En Laponie aussi. Comment, alors, concilier ce combat singulier, nécessaire à la littérature romande, et vivre mon refus instinctif à livrer une bataille régionale ? J’ai dû traiter chaque cas en soi et selon mes interlocuteurs. »

Elle rend hommage à ceux qui l’ont aidée à voir clair dans cette situation singulière, comme l’intellectuel romanche Iso Camartin : « A le voir agir en intellectuel avisé et diplomate, on avait l’impression de se trouver sur une terrasse panoramique surplombant un paysage helvétique idyllique d’où aurait surgi, au-delà de la beauté naturelle des lieux, le souffle de l’esprit. Iso Camartin considérait toute situation minoritaire comme un lieu où rechercher l’universel plutôt que le particulier. Partager son combat me faisait oublier l’étroitesse du pays et les contraintes d’une situation éditoriale aux confins de l’espace francophone. »

Elle-même sait superbement dépasser les particularismes : « La Suisse est le lieu où apprendre comment faire cohabiter plusieurs langues et cultures, et où s’habituer à vivre sans le secours de l’idée de nation. »

Mona Chollet

Marlyse Pietri, Une aventure éditoriale dans les marges, Zoé.

Sur le(s) même(s) sujet(s) dans Périphéries :


Suisse
* Et vous, quel travail feriez-vous si votre revenu était assuré ? - Revenu garanti, « la première vision positive
du XXIe siècle » - décembre 2010
* Dernières nouvelles de l’imaginaire du monde - Trigon-film, distributeur suisse spécialisé dans les films du Sud - août 2001
* « Quand on s’investit dans un lieu, il devient vivant » - L’Ilot 13, un périmètre alternatif à Genève - juin 2001
* Iso Camartin en son esplanade - Pour une Babel heureuse - 16 avril 2001
* Les poèmes de Nicolas Bouvier - 23 mars 2001
* Robert Walser, la bonté impitoyable - 22 juillet 2000
* Après les élections législatives en Suisse - Genève : le début de la fin du rêve multiculturel ? - 2 novembre 1999
* I am called a plant - Pipilotti Rist au Musée d’art moderne de Paris - 20 juin 1999
* Entre introspection et subversion - Littérature suisse - mars 1999
* « Utiliser ce qu’on a d’abord, et utiliser ce qu’on est... » - Les tâtonnements de l’identité suisse romande - mars 1999
* Human Bomb - Carlo Brandt, comédien suisse - janvier 1998
Périphéries, 9 avril 2000
Site sous Spip
et sous licence Creative Commons
RSS