Au fil des jours,
Périphéries explore quelques pistes -
chroniques, critiques, citations, liens pointus...
« Dans le pays abandonné, des camions-studios arrivaient dans les rares villages qui n’avaient pas été vidés de leurs habitants. De l’autre côté des frontières, la même scène avait lieu dans les camps des réfugiés. Ici et là-bas, de longues lignes d’hommes, de femmes et d’enfants attendaient. (...) Le temps était limité et les messages rigoureusement minutés. Alors la radio débitait les voix dialoguant à travers les frontières.
- Je m’appelle Untel, du village de..., j’envoie mon salut à mon père, ma mère, mon fils, ma grand-mère, mon..., ma..., la moisson n’a pu être faite, les oliviers sont à l’abandon, la toiture s’est effondrée mais nous n’avons pas le droit de la réparer, notre orangeraie a été confisquée, la tante... est décédée, la cousine... a accouché. Où êtes-vous ? Si vous entendez ce message, rassurez-nous sur votre sort...
- Vous nous manquez, notre vie est pareille à la mort, mais l’on nous dit que bientôt nous rentrerons, la tente fuit s’il pleut et nous cuisons s’il fait chaud, mais la vie continue, le petit dernier va maintenant à l’école, tu as depuis une semaine une petite sœur, elle ne parle pas encore, mais je suis sûre qu’elle a envie de rencontrer son grand frère, Dieu nous réunira à nouveau, tout le monde nous affirme que justice sera faite et que nous rentrerons... Si tu savais, mon amour, comme le temps nous semble long...
Enfant, j’ai écouté ces émissions. Et cette multitude de voix, de tons, de timbres anonymes, qui emplissaient l’air, qui circulaient malgré les séparations et les déplacements forcés, me disaient, dans l’accent que je n’osais plus employer hors de chez moi, langue secrète dont j’engrangeais les mots avec une rage d’affamé, que ces absents étaient les miens. »
Elias Sanbar, Le Bien des absents
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