Périphéries

Carnet
Février 2002

Au fil des jours,
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[14/02/02] Khiasma, lampe d’Aladin virtuelle

Installée dans un atelier lumineux aux Lilas, juste de l’autre côté du périphérique parisien, l’association Khiasma a été fondée en janvier 2001 par Olivier Marboeuf, illustrateur et graphiste, co-fondateur des éditions Amok (voir l’entretien avec lui dans Périphéries, en novembre 1998). Amok mélangeait déjà les arts graphiques, la photo, la bande dessinée, le reportage, sur des sujets brûlants : l’exil, l’immigration, la banlieue, la quête d’identité... Avec Khiasma - qui, en grec, signifie « croisement » -, Marboeuf poursuit son métissage des disciplines : fonctionnant comme une boîte à outils, son association réunit sur des projets bien distincts des gens aux talents et aux compétences complémentaires. « Si les pratiques artistiques, au sens large, sont le point d’entrée de notre travail, écrit-il dans sa note de présentation, nous voulons associer des personnes issues de tous horizons afin d’opérer des glissements entre champs (de l’art vers l’économie, la science, l’écologie ... ). » Chaque membre peut proposer un projet, et piocher dans le fichier de l’association en fonction des savoir-faire dont ils ont besoin. Depuis un an, Khiasma a ainsi lancé - et, pour certains, pratiquement achevé - quatre très beaux projets, qui font tous l’objet de sites Internet comme on en voit peu.

Le projet « Birmanie : la peur est une habitude », réalisé en collaboration avec les collectifs Info Birmanie et « TotalElfFina ne doit pas faire la loi », ainsi qu’avec l’éditeur L’Esprit frappeur, informe sur la situation en Birmanie par le biais de plusieurs supports : un livre réunissant des témoignages et des récits en bande dessinée, une exposition itinérante et un site Internet (encore en construction). Il donnera aussi lieu à la production d’affiches, de cartes postales, et à des rencontres d’information - la première a eu lieu en janvier à Paris à la Maroquinerie, partenaire régulier de l’association.

Le projet « Art et développement » a, lui, été initié par Jacques Faton, qui propose des formations au cinéma d’animation et à la vidéo en Afrique de l’Ouest avec l’ONG belge Graphoui. Comme ses bailleurs de fonds remettaient toujours en cause l’utilité de l’art dans le cadre de l’aide au développement, il a eu l’idée de s’emparer de ces questions : « L’art sert-il à quelque chose ? Faut-il considérer l’expression artistique comme facteur de développement (culturel, social, politique, économique) et, à ce titre, le financer ? Comment les artistes s’y prennent-ils aujourd’hui pour remettre en question leur rapport à la société, à l’autre ? » Il a interrogé sur ce sujet onze personnalités de la scène culturelle sénégalaise, dont il a filmé en vidéo les réponses. Khiasma édite une brochure, une exposition et un site Internet à partir de ce matériau, et compte prolonger ce travail en allant poser ces questions à d’autres interlocuteurs.

Particulièrement désireuse de contribuer aux créations des jeunes habitants de la banlieue parisienne, Khiasma a aussi réalisé le site de Lucerna, une association qui, depuis 1993, fait découvrir aux jeunes de Saint-Denis le patrimoine architectural de leur ville et les invite à restituer leurs impressions à travers l’écriture, la peinture, la photographie ou le théâtre - « Lucerna » (du latin « lampe », « lumière »), c’est l’ancien nom de la Basilique de Saint-Denis. Les enfants ont été exceptionnellement admis sur le chantier du Stade de France, qu’ils ont photographié, ce qui a donné lieu à un livre. Puis, en 1999, une vingtaine d’adolescents se sont immiscés sur le site des Entrepôts et magasins généraux de Paris (EMGP), site industriel exceptionnel s’étendant sur 75 hectares et ancien grenier de la capitale. Ils y ont réalisé des sténopés (des photographies primitives donnant un « portrait oblique de la réalité »), des pastels sur photos, des photomontages... Enfin, les enfants ont visité la Cité Messonnier, coron ouvrier menacé de démolition. Ils ont interviewé une habitante et le président d’une association de défense de la Cité, dressé un historique, pris des photos, dessiné, réalisé un journal, reconstitué en animations des épisodes qu’on leur avait racontés et qui avaient frappé leur imagination - comme le bombardement de la Cité Messonnier pendant la guerre...

Le projet « Mérimée, c’est fantastique ! » est né d’un spectacle de la compagnie Chimère sur Prosper Mérimée. Deux enseignantes se sont emparées du personnage de l’écrivain, inspecteur des monuments historiques et auteur fantastique. Leurs classes de quatrième, l’une à Paris XXe, l’autre à Meaux, ont élaboré des dictées truffées de mots compliqués - comme Mérimée aimait à en imaginer - et écrit des textes fantastiques qu’elles ont illustrés. Olivier Marboeuf leur a fabriqué une précieuse « boîte à dictée » en carton brun, contenant un livret avec les brouillons et les ébauches des dictées, ainsi que les mots difficiles et leur définition imprimés en sérigraphie sur papier et carton : chaque élève en a reçu une. Les histoires fantastiques écrites par les collégiens à partir d’une photographie de Willy Ronis, « descente de la rue Vilin » (à Belleville), et accompagnées de dessins produits lors d’un atelier, ont été éditées par Khiasma dans deux catalogues. Quelques-unes de ces fictions ont également été lues par une comédienne. Multiformes, insaisissables, éphémères ou à long terme, virtuels et très concrets, les projets de Khiasma sont avant tout des dispositifs formidables pour susciter les chocs, les rencontres, les découvertes.

Pendant ce temps, Amok Editions continue son bonhomme de chemin, sous la direction d’Yvan Alagbé, qui a ouvert une galerie/librairie d’arts graphiques à Montreuil : Insula.

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* Refuser la confiscation d’Internet - 1er décembre 1999
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Périphéries, 14 février 2002
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