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Culture

« Pourquoi les lecteurs présupposent-ils qu’un livre a du sens, n’est pas qu’un tissu de non-sens, et mérite d’être publié et lu ? Pourquoi un livre éveille-t-il de l’intérêt chez les lecteurs ? (...) Ne serait-ce pas que le “sens” se définit dans la rencontre du désir d’un lecteur qui le présuppose - et, pour ainsi dire, le projette - et d’un texte doué de certaines caractéristiques, dont la détermination est elle-même problématique, cette rencontre intervenant dans des contextes changeants qui contribuent à transformer le désir du lecteur et le sens du texte, nécessairement ouvert en cela à des interprétations multiples et variables (ce qui n’exclut pas une certaine “stabilité” ou “objectivité” dont il conviendrait de penser la nature, les limites et les conditions de possibilité) ? Faut-il au contraire penser qu’il est possible de définir le sens ultime d’un texte, son noyau de sens, lequel permettrait d’en déterminer la valeur objective qui ne serait ainsi pas relative et contextuelle (chacun, selon les circonstances, trouvant ou non dans le texte l’occasion de bricoler du sens et de l’utiliser comme une boîte à outils) ? »
Jérôme Vidal, Lire et penser ensemble - Sur l’avenir de l’édition indépendante et la publicité de la pensée critique

« Dans le même registre de clichés interprétatifs usités par la critique artistique et littéraire, le mot “ironie” semble avoir un effet magique : il suffit de le proférer pour qu’il donne de l’intérêt à tout, à défaut de montrer tout d’un autre œil, ce qui est tout de même l’effet révélateur de l’art. Ceux qui en abusent n’ont donc pas remarqué que des intentions ironiques, nous en rencontrons beaucoup, même chez les gosses, mais toute intention ironique produit-elle une ironie de valeur ? (...) Quant au second degré sur les clichés de notre vie quotidienne - comme sur les images de stars, de pub et de télévision qu’agrandit et met en série Warhol, par exemple -, il est suffisamment faible, en l’occurrence, par insuffisance d’invention formelle, par décalque quasiment repris de l’image copiée, pour nous laisser presque aussi ennuyés devant les tableaux de Warhol que devant les mêmes photos de stars, billets de dollars, boîtes de lessive, documents de pub, de magazines et de médias. Sans compter que c’est faire la part belle aux clichés que de tant nous les resservir au second degré. Comme si nous n’étions pas conscients des clichés qu’infusent les images du marché et de la télé. Images de surface, et nous devrions leur vouer notre profondeur de champ ? Nous n’y attachons aucune importance, et il faudrait que l’art nous remette le nez dessus, au lieu de nous montrer comment nous longeons et traversons ces images à tout moment pour percevoir autre chose, avec ou malgré elles ? »
Jean-Philippe Domecq, La situation des esprits, entretiens avec Eric Naulleau

« Ricardou avait craché le morceau en énonçant, dans les années soixante, que “l’écriture du roman” serait désormais “le roman de l’écriture”. Comme si, depuis Don Quichotte, au bas mot, le roman ne s’était pas toujours interrogé sur lui-même, sur sa fabrique. La différence, c’est que, pendant un quart de siècle, on a fait du roman sur le roman, on a multiplié les textes où l’auteur écrit sur le fait d’être en train d’écrire le texte que vous êtes en train de lire - équivalent de ce que j’ai appelé la tendance de “l’Art sur l’art” dans l’art moderne et contemporain. Alors, évidemment, dans ce contexte pour le moins sclérosé entre nombril d’auteur et nombril de narrateur, Houellebecq déboule et plonge le lecteur dans ce qui semble être aujourd’hui le monde le plus évident : le monde de l’entreprise, le tourisme international, la sexualité de kiosque, les codes de séduction branchée, les codes d’Internet directement injectés au vocabulaire, les dernières vulgarisations scientifiques, les modes comportementales et vestimentaires et les dernières modes de langage. Ce “monde d’aujourd’hui” à nul autre pareil et dont l’époque se gargarise, ce “monde-désormais”, Houellebecq nous le sert, et le gros public croit s’y retrouver. »
Jean-Philippe Domecq, La situation des esprits, entretiens avec Eric Naulleau

« Il y a quelques années, je croisais régulièrement une de ces personnes que la rumeur qualifie d’hypercultivées : quelqu’un qui en imposait par sa capacité à parler aussi bien des primitifs italiens du XIVe siècle que des stocks d’armes nucléaires dans l’ex-URSS ou des nouvelles tendances du roman scandinave. Un tel brio m’a longtemps paru douteux, pour finir par m’inspirer une franche répulsion. Passons sur la névrose que traduit cette volonté de saturation. Passons également sur le fait que ce type d’individu fait un usage intimidant, voire terroriste, de son savoir tous azimuts. Le plus important, en l’occurrence, est ce que j’appellerai le rapport inculte à la culture. On peut déployer des connaissances finement et richement articulées sur fond d’indigence existentielle et spirituelle. On peut charrier des produits de luxe sur un courant d’une foncière vulgarité. (...) L’essentiel est là : savoir jusqu’où un individu sait ce qu’il sait, évaluer l’épaisseur et la qualité du tuf où s’enracine son discours. Dès que je vois quelqu’un tenir par des liens très lâches à ce qu’il dit - si excitant que soit le propos -, ma règle est désormais de prendre mes distances, ou de feindre un intérêt poli. Inversement, je suis fasciné par cette capacité qu’ont certains individus de nouer des liens forts et nécessaires avec ce qu’ils ne savent pas. Je pense par exemple à certains autodidactes qu’il m’arrive de rencontrer dans les stages en entreprises : non seulement ils prennent une juste mesure de certaines ignorances ou insuffisances, mais ils sont capables de tisser avec elles une relation dynamique qui ne les accule pas à ressasser une prétendue infériorité. Comme s’ils disaient, en somme : "Il y a des choses que je n’ai pas apprises au bon moment, et que je n’apprendrai jamais comme d’autres les ont apprises. Cela me met parfois en situation décalée, mais ce décalage, j’essaie d’en faire quelque chose : une distance originale, un œil sans prévention, une naïveté productive... " Je pense également à certains intellectuels ayant croisé ou frôlé des disciplines qu’à leur grand dam ils n’ont jamais eu le temps d’approfondir : entre leur discipline propre et les champs voisins laissés en friche se trament parfois des rapports d’une extrême intensité. Nul doute, pour reprendre la métaphore de Montaigne, que ceux-là "tiennent" par des liens nécessaires, constamment habités, à leurs ignorances ou à leurs connaissances très vagues. »
Pierre Mari, Le côté du monde, conversations avec Jean Sur, éditions Mettis

« Le soleil filtre à travers les branches des arbres par éclairs, comme le sens à travers la langue. »
Nancy Huston, Lignes de failles

« Dans le bastion purement éditorial, chacun aura remarqué l’importance des quinqua- et sexagénaires ayant été imprégnés par ledit soixante-huitardisme, soit politiquement (en tant que frères ennemis mao-trotsko-libertaro-situs), soit existentiellement (par le biais de l’underground rock et black, du psychédélisme stupéfiant made in Goa et Ibiza ou du libre-échange sexuel sans entraves, etc.). Parmi cette multi-beat generation - ultraminoritaire à son époque, rappelons-le, et déjà scindée entre petits chefs arrivistes et explorateurs sans retour ni profit de terra incognita -, beaucoup sont morts ou survivent dans une fidélité anonyme à ce qu’ils ont été, certains œuvrant d’ailleurs sans tapage ni lauriers dans l’édition d’aujourd’hui. D’autres ont vite conquis des places de choix dans la presse, la publicité ou les industries culturelles. Aux commandes du secteur éditorial, ces hommes-sans-passé abondent, icônes d’un âge révolu (et plus jamais révolutionnaire d’aucune manière, c’est promis...), à l’apogée finissante de leur gloire.
La plupart ont fait carrière à l’image même de leur repentir, par réajustements successifs ou virages plus brutaux. Ils ont d’abord fait allégeance aux lois impérieuses du marché, puis, jetant l’eau du bain avec leur propre baby-boom contestataire, fait alliance au milieu des années 80 avec leurs pires ennemis d’adolescence, ces têtes molles du business et ces peine-à-jouir du bilan comptable. Pour avaler l’austère couleuvre de leur normalisation libérale et panser les petites blessures narcissiques de l’ancien temps, il a aussi fallu qu’ils légitiment a posteriori les volte-face de leur parcours avec un discours de façade. (...)
Quitte à abuser de généralités, tentons ici de synthétiser les tenants et aboutissants de cette mauvaise conscience aujourd’hui à l’œuvre : “Nous avons été les rejetons turbulents de la Deuxième guerre mondiale, nous avons cru à un ultime avatar de l’engagement, comme inscription dans la légende historique, mais c’est fini. Nous avons expérimenté tous les paradis artificiels et connu le désenchantement jusqu’à l’overdose, tous les karmas de l’émancipation sexuelle et leur sanction virale, tous les -ismes de la République des Egaux et leur lutte armée pseudo-prolétarienne. Bref, nous sommes les derniers à avoir goûté aux fruits défendus de la liberté et, aussitôt après, aux remords indigestes qui nécessairement s’ensuivent... Mais vous, pauvres jeunes ignares d’aujourd’hui, sachez bien que c’est fini et n’y revenez plus. A nous l’expérience douce-amère du romantisme existentiel, à vous le pâle horizon du pragmatisme illimité. Puisque c’est comme ça, rappelez-vous que ça ne sera plus jamais comme avant. Nous sommes les rebelles crépusculaires d’un Eden perdu, vous êtes les idiots consentants de la Fin de l’Histoire. Et d’ailleurs, incultes-nés que vous êtes par la seule faute d’être nés après nous, cette société du spectacle désintégrant, sans mémoire, sans solidarité, sans supplément d’âme, vous la méritez parce qu’elle vous vaut bien. (...) Grand dommage, mais la phase terminale de notre postérité exige que vous fassiez votre deuil de tout espoir hors de la médiocrité marchande. En notre lointaine jeunesse, nous avons cru tuer le Père, pure forfanterie, l’heure est venue d’enterrer nos fils pour mille ans, sans qu’aucune fleur n’ose repousser sur nos anciens terrains d’aventures.
On m’objectera que cette nostalgie catastrophiste tient surtout au retour d’âge et que, de toute éternité, cette maladie sénile du jeunisme repenti a toujours existé sans empêcher le renouveau cyclique des œuvres, des êtres et des choses. Certes, mais l’analyse critique de cet ethos dominant fait partie des actes fondateurs de l’avenir. Et l’on ne doit pas sous-estimer la puissance autoréalisante de ces prophéties bilieuses. Ceux qui, chacun selon son style et sa gueule de bois, prônent la résignation cynique à la massification des bas produits culturels, ne font que justifier leur propre bassesse en invoquant une prétendue ignorance chez la masse marchandisée des nouveaux lecteurs, libraires, bibliothécaires, pigistes, etc. “Après nous... le déluge !”, annoncent-ils, mais à force de remâcher leur ressentiment, ce sont eux qui contribuent à la produire, cette table rase de l’édition, eux qui la désirent pour finir en beauté, posthume.
(...) Il n’est pas anodin de réaffirmer combien une part du désastre tient au refus de transmission chez ces plumitifs de malheur et combien leur tour d’ivoire testamentaire sert à occulter ce qu’il y a encore de mémoire vive et d’inventivité savante chez les milliers de jeunes auteurs d’invendus, employés nomades de librairie, stagiaires mésestimés de l’édition, thésards et vacataires de l’université, autodidactes du prêt gratuit, etc. Mais aussi chez tant d’indéniables éditeurs et rescapés discrets de ces années de plomb sans tête. Alors, quoi de neuf ? Résister à l’autodépréciation ambiante, cela passe d’abord par cette porte étroite : la simple circulation des savoirs hétérogènes mais partagés entre anciennes expériences et expérimentations nouvelles, par les espaces reconquis de la filiation affinitaire sous toutes ses formes. »
Yves Pagès, « L’édition vue du ciel », revue Lignes, « Situation de l’édition et de la librairie », mai 2006

« Se chercher un sens, c’est placer au centre de l’existence, non pas un conformisme peureux, non pas la célébration des contraintes, non pas un réalisme sans réalité, mais l’humanité, l’humain premier, non pas ajouté. La culture n’est pas la crème dont une aimable tradition de goût nous fait recouvrir la pâte ingrate de la vie réelle. La culture n’est pas une cérémonie. La culture n’est pas l’accaparement, l’émiettement, la dévitalisation de formes prestigieuses, leur démantèlement en éléments culturels, en données culturelles qui n’ont plus rien à voir avec les souffrances, avec le langage, avec la conscience du peuple, et qui, à leur manière comme, à la leur, l’argent et la puissance, contribuent à le détourner de soi-même et de la vie. Il n’est pas possible qu’un peuple tout entier continue à passer ses journées à célébrer le culte archaïque de la compétition pour les choses dans la menace et le chantage, et ses loisirs à contempler, dans leurs défilés de haute culture, des mannequins moralisateurs dont les savoirs rémunérés n’ont pour but que de calfater les défauts d’étanchéité de sa soumission. »
Jean Sur, Jacques Berque et l’Occident

« Ce qu’on appelle civilisation européenne, cette "vieille soupière qui survit aux assiettes creuses", comme disait Aragon, ne tient guère qu’aux blocs de cultures antérieurs à la civilisation industrielle qui, cahin-caha, tâchent d’y survivre, de s’y rendre vaguement utiles, le plus souvent d’assurer, avec une dignité fatiguée, les fonctions de représentation qui leur sont assignées. Il y a une société industrielle, une société post-industrielle : pour Jacques Berque, il n’y a pas de culture ou de civilisation industrielle, ni post-industrielle. »
Jean Sur, Jacques Berque et l’Occident

« Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les interjections proférées autour de soi : elles sont loin d’être interchangeables ; toutes ne se prêtent pas avec une égale souplesse à la gamme des rôles dévolus au langage interdit. "Putain" et "salope", bien qu’ils soient sur le plan dénotatif des quasi-synonymes, n’ont pas du tout un mode d’emploi identique. Quand on s’exclame "Quelle putain !" ou "Quelle salope !" à propos d’une femme, la différence réside simplement dans le degré de péjoration, mais on ne peut pas murmurer "Salope !" devant un beau tableau, tandis que "Putain !" peut très bien traduire une admiration intense. »
Nancy Huston, Dire et interdire - Eléments de jurologie

« Je m’excuse de m’exposer ainsi devant vous ; mais j’estime qu’il est plus utile de raconter ce qu’on a éprouvé, que de simuler une connaissance indépendante de tout observateur. En vérité, il n’est pas de théorie qui ne soit un fragment, soigneusement préparé, de quelque autobiographie. »
Paul Valéry, cité par Philippe Lejeune dans Signes de vie - Le pacte autobiographique 2

« Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s’entrecroisent, où des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, où ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde. On ne peut pas agir sur le moment d’avant pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre ce monde. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées créoles. »
Edouard Glissant, Le Monde2, 31 décembre 2004

« Nous lisons pour connaître la fin, pour l’histoire. Nous lisons pour ne pas atteindre cette fin, pour le seul plaisir de lire. Nous lisons avec un intérêt profond, tels des chasseurs sur une piste, oublieux de ce qui nous entoure. Nous lisons distraitement, en sautant des pages. Nous lisons avec mépris, avec admiration, avec négligence, avec colère, avec passion, avec envie, avec nostalgie. Nous lisons avec des bouffées de plaisir soudain, sans savoir ce qui a provoqué ce plaisir. "Qu’est-ce donc que cette émotion, demande Rebecca West après avoir lu Le Roi Lear. Quelle est cette influence qu’ont sur ma vie les très grandes œuvres d’art, qui me fait tant de bien ?" Nous ne le savons pas. Nous lisons dans l’ignorance. Nous lisons à longs gestes lents, comme si nous flottions dans l’espace, en apesanteur. Nous lisons pleins de préjugés, dans la malice. Nous lisons généreusement, pleins d’indulgence pour le texte, comblant les vides, réparant les erreurs. Et parfois, quand les astres nous sont favorables, nous lisons le souffle court, parcourus d’un frisson, comme si quelqu’un ou quelque chose avait "marché sur notre tombe", comme si un souvenir enfoui au fond de nous avait soudain été libéré - comme si nous reconnaissions une chose dont nous avions toujours ignoré la présence, ou une chose que nous sentions vaguement, ombre ou petite lueur, dont la silhouette fantomatique s’élève et rentre en nous avant que nous ayons pu voir ce que c’était, nous laissant plus vieux et plus sages. »
Alberto Manguel, Une histoire de la lecture

« Je vais lui prêter quelques disques, les films c’est mauvais, c’est un mur devant soi avec la vie des autres, la musique c’est dans votre tête, alors on pense, on s’évade. »
Tsilla dans Daewoo de François Bon

« François Jullien rappelle opportunément que l’universel, c’est le contraire de l’uniforme. Est uniforme ce qui prétend se former sur l’un, créer de l’individuel par copier/coller de l’un. L’universel, au contraire, comme l’étymologie l’indique, c’est ce qui est tourné, ou qui se tourne, vers l’un. C’est donc une notion dynamique. L’universel, c’est le résultat de l’acceptation d’un donné singulier, unique, et de sa transmutation en valeur par l’œuvre, ou par la parole, ou par la présence. Le plus souvent, nous sommes tentés par le copier/coller : la prétendue civilisation occidentale n’est que la répétition, dans tous les domaines, de l’efficacité machinique. Il ne suffit pas, pour échapper à l’imitation, de positions critiques : elles aussi sont sujettes, on le voit bien, à la reproduction dépersonnalisante. L’universalisation est une opération aussi mystérieuse que l’alchimie. Ce qui compte, c’est moins la nature ou la richesse de ce qui est transformé que la transformation elle-même. Ce que nous appelons culture n’est guère qu’un ébrouement singulier de l’uniforme. L’esthétisme, le dandysme et, de manière générale, toutes les attitudes spectaculairement individuelles sont des variétés masquées d’uniformité, rien de plus. Entre le bavardage éthique et la pose esthétique, d’un côté, l’universalisation, de l’autre, il y a ce gouffre qu’on appelle en Inde "le plus petit abîme". Le franchir, ou plutôt accepter de se laisser le franchir, voilà la vraie aventure de la personne et, singulièrement, de cet homme moderne traqué par tous les mimétismes. Elle suppose qu’il accepte de "n’être plus où il en sait" ; qu’il échappe, par exemple, aux logiques philanthropiques, aux clubs de bien-pensants, à l’idée trop claire qu’il a de ce qui compte et, en tout cas, à tout fantasme de comparaison. »
Jean Sur, « Le marché de Résurgences XII », sur Résurgences

« La culture consiste toujours à empiler des couches de citations, des idées qui font naître d’autres idées, des mots qui font ricochet à travers l’espace et le temps. »
Rosa Montero, La Folle du logis

« Oui, peut-être que lire, écrire, c’est tenter de s’appartenir, paradoxalement, de se désaltérer pour atteindre à une identité libérée des stéréotypes, de repousser les limites étroites de cette identité forgée sous la pression des autres, déplier son nom dans l’espace de la langue comme on déplierait son corps dans l’espace physique, non pas pour en occuper plus, de l’espace, quelle importance, mais pour permettre à la vie de s’y déployer, de passer à travers soi, dans les mots comme dans la chair. »
Bertrand Leclair, Disparaître

« Un superbe livre de François Jullien sur la civilisation chinoise, La propension des choses, m’explique le malaise où me jette à peu près tout ce que je lis. Dans la tradition chinoise, quelque chose l’emporte sur la perspicacité intellectuelle : le sentiment aigu de participer au mouvement du monde, quoi qu’il en soit des événements, des circonstances et de l’idée qu’on s’en fait. Ce sentiment n’a presque plus aucune place en Occident. Ce qui s’y écrit souffre d’une carence de chair, de matière, de "cœur rouge", de vie singulière qui n’épargne même pas la littérature intimiste, aussi chosiste que le reste. L’Occident observe, constate, classe, commente, juge avec une confiance naïve dans le bien-fondé et la transcendance de sa posture. Paralysée par une terreur secrète, la plume n’y tremble plus ; le doute lui-même n’est qu’une hésitation devant un choix. Dans ces miroirs qui cherchent d’autres miroirs, je sens une détresse raidie en vanité, en orgueil, en susceptibilité agressive. La pensée n’y connaît pas l’étreinte, ni la caresse, ni la peur, ni le dégoût, ni le rire. Elle n’effleure pas le visage du monde. Rien ne la surprend, rien ne l’effarouche, rien ne la ravit. Même la colère, même l’indignation paraissent prévisibles, organisées. On est à l’affût des idées comme d’un gibier. Ni pesanteur ni légèreté, ni écho ni aura. La sensibilité des Occidentaux leur reste sur les bras. Quelque chose ne joue plus entre le monde et eux.
(...)
Il n’a jamais été simple de se tenir dans cette attitude de présence constante, ou de constance présente. C’est plus difficile encore depuis que nous avons quadrillé, du même mouvement, le monde et la conscience, depuis que nous les avons coupés, l’un et l’autre, de leurs racines et de leurs sources, depuis que, prenant une rationalité déraisonnable pour le tout de l’être, nous avons décidé, contre toute évidence, de voir dans cette mutilation un progrès et dans notre frustration une libération, depuis que nous avons fait de cette mutilation et de cette frustration les deux ressorts de ce que nous appelons le développement, concept magique et confus que nous proposons désormais comme principe non seulement à l’évolution du monde, mais encore à notre devenir personnel.
Tout le monde sait cela, ou l’éprouve. Nous serions pourtant de bien mauvais élèves de la pensée chinoise si nous trouvions là une raison de désespérer. Il est dans la nature des choses que tout cela passe, et tout cela passera : nous vivons une crise cyclique ou métaphysique dont notre alternance politique n’est que la copie en nougat. Chance ou péril ? Les deux, sans doute, il n’y a pas à choisir. Mais, à supposer qu’on le puisse, je parierais : chance. »
Jean Sur, « Le marché de Résurgences X », sur Résurgences

« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d’énonciation ? La poésie, dans ses plus mortes saisons, nous en a souvent fourni la preuve : quelle débauche de ciels étoilés, de pierres précieuses, de feuilles mortes. Dieu merci, une réaction lente mais sûre a fini par s’opérer à ce sujet dans les esprits. Le dit et le redit rencontrent aujourd’hui une solide barrière. Ce sont eux qui nous rivaient à cet univers commun. C’est en eux que nous avions pris ce goût de l’argent, ces craintes limitantes, ce sentiment de la "patrie", cette horreur de notre destinée. Je crois qu’il n’est pas trop tard pour revenir sur cette déception, inhérente aux mots dont nous avons fait jusqu’ici mauvais usage. Qu’est-ce qui me retient de brouiller l’ordre des mots, d’attenter de cette manière à l’existence toute apparente des choses ! Le langage peut et doit être arraché à son servage. Plus de description d’après nature, plus d’étude de mœurs. Silence, afin qu’où nul n’a jamais passé je passe, silence ! - Après toi, mon beau langage. »
André Breton, « Introduction au discours sur le peu de réalité » (septembre 1924), Point du jour

« On nous fait honte de savoir ce qui est important et d’ignorer ce qui est subalterne. Naturellement, plus l’information prolifère et plus l’accessoire recouvre l’essentiel, plus nous devenons savamment idiots. Secouer à la fenêtre la couette de la modernité, si possible un jour de grand vent. »
Jean Sur, « Le marché de Résurgences VI », sur Résurgences

« Les hasards qui faisaient surgir un lien impromptu, mais chargé de résonance, entre divers éléments avaient toujours exercé sur elle une emprise délicieuse. Ces rapprochements imprévisibles entre les multiples rives de son existence enchantaient son esprit, comme tout ce qui intensifiait sa vision du monde ou plutôt tout ce qui favorisait la fusion de son monde intérieur avec le monde extérieur. C’étaient enfin ses meilleurs moments : un fabuleux bouche-à-bouche. L’unité régnait à nouveau ici-bas. Elle était à la recherche de ces instants glorieux quand la place entière était cédée à la sidération. L’émotion qui naissait alors était porteuse d’une métamorphose. Cette idée la réjouissait. Se sentir transformée équivalait à une révélation. (...) Les coïncidences lui tournaient la tête, ouvraient ses yeux, ses lèvres, ses oreilles, lui procuraient la divine sensation de l’étonnement. Elle se laissait volontiers séduire par l’idée que d’autres réalités se dissimulaient derrière ces manifestations extérieures si elle était prête à les voir. La réalité était en cela comparable à une peinture à l’huile : toute en couches de pigments successives dont la superposition demeure invisible à l’œil nu. Les amoureux sont sensibles aux signes les plus infimes : elle était tout le temps amoureuse, donc très exercée à l’extra-lucidité et capable d’aller voir jusqu’à la couche la plus maigre pour découvrir le dessin originel. Faire cette descente, c’était en quelque sorte accéder aux causes premières et anticiper leurs effets. »
Estelle Lemaître, Swiftitudes

« Relevant des éléments épars de son expérience, elle posait leur rapport, observait les effets qu’ils exerçaient les uns sur les autres et les reliait au gré de ses émotions et de son inspiration afin de se composer un univers plus salutaire. "Je ne peins pas les choses mais le rapport entre les choses... Le rapport c’est la parenté entre les choses, c’est le langage commun ; le rapport c’est l’amour, oui, l’amour", disait le peintre [Matisse, ndlr] retiré dans sa villa de Vence nommée Le Rêve. »
Estelle Lemaître, Swiftitudes

« Le miroir, genre littéraire courant au Moyen Âge, se fondait sur des conventions d’ordre sacramentel. Les intentions de son auteur ne se limitaient pas à donner au lecteur un reflet de la réalité du monde mais visaient à lui offrir en même temps son propre reflet. On ne faisait pas que lire un miroir, on y contemplait aussi sa face à travers l’objet dépeint. Au fil du texte, le lecteur était censé s’apparenter à ce qu’il était en train d’admirer. Les visions qui abreuvaient son esprit opéraient une métamorphose intime qui favorisait son passage de l’autre côté du miroir. La coïncidence de ce qui au préalable semblait opposé, le lecteur et le livre, était ainsi réalisée. »
Estelle Lemaître, Swiftitudes

« Malgré les divergences, ce qui sous-tend l’identité arabe c’est la langue : mon identité est liée avant tout à la langue arabe. Et j’entretiens avec elle une véritable relation d’amour. Nul jour ne se passe sans que je ressente à quel point je ne la maîtrise pas. La langue arabe est une langue très sensorielle, d’une richesse exceptionnelle ; son génie réside dans son lexique. Pour "cheval blanc" il existera un mot, pour "cheval bai" un autre ; pour désigner les âges de l’homme également. L’arabe est d’une précision inouïe. Peut-être parce que le désert est par essence le lieu de la méditation et que les Arabes des origines avaient tout le temps de méditer sur les nuances du monde. Si la langue a apparu plus pauvre en ce qui concerne la formation de concepts, elle a su emprunter à d’autres langues, dont le grec. Les écrivains et philosophes du Moyen Âge ont pu enrichir cette langue très sensitive d’un vocabulaire abstrait. Averroès, au XIIe siècle, fut, ne l’oublions pas, le grand commentateur d’Aristote. »
Mahmoud Darwich, entretien à Libération, 10-11 mai 2003

« Robinson Crusoé découvrant, incrédule, des empreintes de pas, Achille hurlant ses imprécations à la face des Troyens, Ulysse bandant son grand arc, Christian fuyant en se bouchant les oreilles de ses doigts : ce sont là des moments cruciaux de la légende, et chacun restera à jamais gravé dans les mémoires. Nous pouvons oublier tout le reste, oublier les mots, même s’ils sont magnifiques, oublier les commentaires de l’auteur, même s’ils sont pertinents - mais ces scènes qui font date marquent une histoire du sceau de la vérité et comblent, d’un seul coup, notre capacité d’adhésion, nous les recueillons au plus secret de notre esprit, là où ni le temps ni le monde ne peuvent en effacer, ou atténuer, la trace. Tel est donc le pouvoir plastique de la littérature : incarner un personnage, une pensée, une émotion, dans une action, ou une attitude qui frappe les esprits, pour s’y imprimer à jamais. C’est la chose la plus haute, et la plus difficile à réaliser avec des mots - mais aussi, une fois accomplie, celle qui enchante également le sage et l’écolier, et acquiert de plein droit la qualité de l’épopée. »
Robert Louis Stevenson, « A bâtons rompus sur le roman », Essais sur l’art de la fiction

« Imaginez ceci. Vous vous réveillez un matin et vous vous retrouvez dans une grande maison pleine de coins et de recoins. Vous la parcourez au hasard et vous vous rendez compte qu’elle est si grande que vous n’arriverez jamais à la connaître en entier. Dans la maison, il y a des gens que vous connaissez, des membres de votre famille, des amis, des gens que vous aimez, des collègues ; ainsi que beaucoup d’étrangers. La maison grouille d’activités : conflits et séductions, fêtes et célébrations. A un moment, vous comprenez que c’est quelque chose que vous pouvez accepter. Vous n’auriez pas choisi cette maison-là, elle est en assez mauvais état, les couloirs sont pleins de bravaches, mais il faudra bien que ça aille. Puis un jour vous entrez dans une petite pièce qui ne paie pas de mine. La pièce est vide, mais on y entend des voix, des voix qui ne semblent murmurer que pour vous. Vous reconnaissez certaines de ces voix, d’autres vous sont totalement inconnues. Les voix parlent de la maison, de tous ceux qui s’y trouvent, de tout ce qui s’y passe, qui s’y est passé et qui pourra s’y passer. Certaines ne débitent que des obscénités. Certaines sont graves. Certaines aimantes. Certaines graves. Certaines tristes. Les voix les plus intéressantes sont tout cela à la fois. Vous commencez à vous rendre dans la pièce de plus en plus souvent. Vous apprenez petit à petit que la plupart des gens de la maison utilisent parfois des pièces semblables. Pourtant ces pièces sont toutes discrètes et aucune ne paie de mine.
Maintenant imaginez que vous vous réveillez un matin pour vous retrouver dans la grande maison, mais toutes les pièces-aux-voix ont disparu. C’est comme si on les avait effacées. Pas un endroit dans toute la maison où vous puissiez aller écouter ces voix qui parlaient de tout, de toutes les façons possibles. Pas un endroit où écouter ces voix, drôles pendant une minute et tristes la minute suivante, rauques et mélodieuses au cours de la même phrase. Et puis vous vous rappelez : la maison n’a pas de sortie. Maintenant cela commence à devenir insupportable. Vous regardez dans les yeux des gens qui se trouvent dans les couloirs - famille, amants, collègues, étrangers, bravaches, prêtres. Vous voyez la même chose dans les yeux de tout le monde. Comment sortir d’ici ? Il devient évident que la maison est une prison. Les gens commencent à pousser des cris et à taper sur les murs. Des hommes arrivent avec des fusils. La maison commence à trembler. Vous ne vous réveillez pas. Vous êtes déjà réveillé... »
Salman Rushdie, extrait de la Conférence du Herbert Read Memorial, prononcée au nom de l’auteur par Harold Pinter le 6 février 1990 à l’Institut des Arts contemporains de Londres

« L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. »
Robert Filliou

« Flor apparaît, bras écartés en attente d’une étreinte, regard de braise, large sourire. Cette femme, de toute évidence, ne carbure pas à l’ordinaire. Depuis quelques années, on nous bassine avec l’extraordinaire verdeur des vétérans cubains, qui cocufient leur vieillesse et repoussent en riant les assauts de l’arthrose et du gâtisme. On ne dit pas assez que ces gens-là n’ont pas attendu d’être remarqués par l’industrie du disque pour être un peu plus vivants que la moyenne.
Flor est aujourd’hui âgée de 72 ans, mais on peut parier qu’il y a un demi-siècle déjà, une énergie semblablement féroce irradiait de la moindre de ses apparitions. Elle est de ces êtres qui, sans efforts ni démonstrations, vous convainquent qu’une force supérieure se tapit derrière l’enveloppe mortelle de leur chair. Plus qu’à une femme, il semble que l’on ait affaire ici à un esprit frappeur qui se manifeste en musique, un succube capable de posséder les hommes par une simple chanson.
A quelques pas de chez Flor vit Candida, de deux ans sa cadette. Pareillement altière, pareillement allumée du dedans. Réunissez ces deux-là, et le monde tremble aussitôt sur ses pauvres bases. Quand, dans la cuisine aux dimensions d’un placard, les frangines conjuguent soudain leurs chants et entonnent Santa Cecilia, un classique de la trova cubaine, l’envie nous prend d’abord de retenir les objets que leurs souffles communs pourraient déplacer et jeter à bas : ustensiles ménagers, images du Che et du Christ épinglées au mur, cadavres de bouteilles de rhum, tasses de café. (...) Projetées sans façon, les voix des sœurs Faez cognent l’auditeur au ventre comme pour le sortir d’une profonde amnésie et lui rappeler qu’elles ont toujours été là, qu’elles ne disparaîtront pas comme ça. Car il n’est pas nouveau que des hommes et des femmes chantent ainsi, sans frein, joyeusement et rageusement, seuls ou à plusieurs, en ville ou à la campagne, chez eux ou dans une carriole, un train, un bateau. Mais ces habitudes-là se perdent, à Cuba comme ailleurs, parce que le siècle a inventé d’autres mots pour parler et faire de la musique - professionnalisme, carrière, gloire, ce genre.
Dans la cuisine de Candida, il n’est pas besoin de se forcer pour se dire que cette beauté brutale n’a rien d’un folklore, que cette vigueur expressive n’est pas l’ultime vestige d’une dramaturgie d’un autre temps. Il n’y a rien de pittoresque, rien de désuet dans les gestes de sémaphore et les voix giflantes de ces deux pétroleuses. Les sœurs Faez sont simplement d’un monde où la musique est encore une façon de mettre un peu de révolution dans le quotidien, en toute simplicité, comme on remettrait une poignée de charbon dans un poêle, comme on refuserait d’étouffer un feu. »
Richard Robert, portrait des chanteuses cubaines Flor et Candida Faez, Les Inrockuptibles, 23 janvier 2001

« Nous sommes dans le rituel. Depuis en tout cas le courant des années 80, il y a toute une tradition, empruntée/inventée mais immuable, du rite de la représentation au Soleil, ainsi, les bâtonnets d’encens et les bougies flottantes que l’on allume dans l’accueil à la fin d’un spectacle. Ce rituel tient, à la fois, du sacré et du profane, de la naïveté et du raffinement. (...) Il est très frappant de constater à quel point l’immense majorité du public prend en charge la bonne marche des différentes étapes de son propre accueil, de sa propre "préparation". On assiste fréquemment, par exemple, au pilotage de nouveaux spectateurs par de plus anciens, de plus habitués, qui leur expliquent que la porte ne s’ouvrira qu’une heure avant le début annoncé du spectacle, indiquent ce qu’ils pensent être les meilleures places, signalent les fameuses coulisses à vue... Tout se passe comme si une bonne partie du public finissait par se sentir presque aussi responsable du déroulement de la représentation qui va venir que les acteurs eux-mêmes. Ariane Mnouchkine, qui entrait dans les coulisses un peu avant une représentation des Atrides, se fit ainsi fermement rappeler à l’ordre par une spectatrice qui ne l’avait pas reconnue. »
Laurence Labrouche, Ariane Mnouchkine, un parcours théâtral

« ... Quiconque a lu un livre de cette manière y tient par un lien fort, une sorte d’adhérence, et quelque chose comme le vague sentiment d’avoir été miraculé : au cours d’une conversation chacun saura reconnaître chez l’autre, ne fût-ce qu’à une inflexion de voix particulière, ce sentiment lorsqu’il s’exprime, avec parfois les mêmes détours et la même pudeur que l’amour : si une certaine résonance se rencontre, on dirait que se touchent deux fils électrisés. C’est ce sentiment, et lui seul, qui transforme le lecteur en prosélyte fanatique, n’ayant de cesse (et c’est peut-être le sentiment le plus désintéressé qui soit) qu’il n’ait fait partager à la ronde son émoi singulier ; nous connaissons tous ces livres qui nous brûlent les mains et qu’on sème comme par enchantement - nous les avons rachetés une demi-douzaine de fois, toujours contents de ne point les voir revenir. Cinquante lecteurs de ce genre, sans cesse vibrionnant à la ronde, sont autant de porteurs de virus filtrants qui suffisent à contaminer un vaste public : il n’y faut que quelques dizaines d’années, parfois un peu plus, souvent beaucoup moins : la gloire de Mallarmé, comme on sait, n’a pas eu d’autre véhicule - cinquante lecteurs qui se seraient fait tuer pour lui. »
Julien Gracq, La Littérature à l’estomac

« S’il y a un trajet dans ce film, c’est celui qu’il y a dans la tension entre le goût et le dégoût de la vie, entre la rupture du contact avec le monde et la redécouverte du langage. Dans l’aliénation "soft" où nous vivons, ce qui dévore les vies s’appelle vide, dégoût de soi, perte du sacré, marchandisation des rapports intimes. Il faut tenter d’échapper à la haine de soi, à la haine de l’autre, trouver le geste, le mot juste, attendre le hasard qui permettra de naître. Là réside le sublime dans le quotidien, dans cette acceptation et dans la lumière de chaque instant, la beauté du monde. C’est au cinéma qu’échoient la réflexion et la célébration du quotidien, c’est le seul art qui fait de la conversation "ordinaire" sa matière. »
Dominique Cabrera à propos de son film Nadia et les Hippopotames, Rouge, 23 mars 2000

« Pour moi, le réel ne s’arrête pas à la table, au verre... Le langage fait partie intégrante du réel, même s’il en est sans doute la partie la plus malléable. »
Yves Pagès, auteur de Petites natures mortes au travail, en substance et de mémoire, chez Gérard Lefort et Marie Colmant dans A toute allure, France-Inter, 22 février 2000

« Le mal de notre littérature dramatique c’est la formidable différence qu’il existe entre l’intelligence et la sagesse. Là où les auteurs allemands se mirent à penser, Hebbel par exemple, ou auparavant déjà Schiller, ils commencèrent à construire. Shakespeare lui n’a pas besoin de penser. Il n’a pas besoin de construire. Chez lui, c’est le spectateur qui construit. Shakespeare ne modifie pas au second acte le cours d’une destinée pour rendre le cinquième acte possible. Tout chez lui se termine naturellement. Dans l’incohérence des actes de Shakespeare, on reconnaît l’incohérence d’une destinée humaine telle que la rapporte un homme qui n’a pas intérêt à l’ordonner pour soutenir à l’aide d’un argument qui n’est pas tiré de la vie réelle, une idée qui ne peut être qu’un préjugé. Il n’est rien de plus sot que de représenter Shakespeare de façon qu’il soit clair. Il est par nature obscur. Il est la matière, le donné immédiat. »
Bertolt Brecht, Ecrits sur le théâtre

« Puis j’ai pris Rudyard Kipling et je suis allée me cacher dans l’armoire à jouets de la véranda. Il y a dans cette armoire une petite cache exactement à ma taille. Je peux m’y asseoir, allonger les jambes et tirer la porte sur moi, en laissant juste passer un rayon de lumière.
J’ai passé là un moment délicieux à me gaver de contes, et notamment celui du Sais de miss Youghal qui commence ainsi : "Certains prétendent qu’il n’y a rien de romantique aux Indes. Ils ont tort. Nos vies recèlent une part de romantisme qui est juste ce qu’il nous faut, quelquefois un peu plus."
Je trouve drôle que le même mot de "romantisme" parle à la fois de l’amour et des romans. Comme si l’amour et les livres, c’était pareil. Les livres de la bibliothèque ont une odeur beige de vieux papier. J’ai remarqué qu’il m’arrive de baver en lisant, sans m’en rendre compte. A cause de la satisfaction peut-être. »
Marie Desplechin, Une vague d’amour sur un lac d’amitié

« Je ne l’ai vue danser sur scène qu’une seule fois. C’était en 1950, au casino d’été de Badia, en contrebas de l’emplacement actuel du Sheraton. Quelques jours plus tard, je la croisai devant un étal de légumes, à Zamalek. Elle était aussi provocante et belle que ce soir-là, à ceci près qu’elle arborait désormais un élégant tailleur lavande et des talons aiguilles. Elle me fixa droit dans les yeux, mais, du haut de mes 14 ans, j’étais si troublé que je ne parvins pas à soutenir ce regard insistant et, dans mon esprit, quelque peu aguicheur. Tahia Carioca était la danseuse orientale - ou danseuse du ventre, comme on les appelle aujourd’hui - la plus impressionnante du monde arabe, et ce fut certainement celle qui tint la scène le plus longtemps. Sa carrière aura duré soixante ans.
(...)
La danse du ventre est aux antipodes du ballet classique, son équivalent artistique occidental. Dans le ballet, tout converge vers l’élévation, la légèreté, le défi à la pesanteur. La danse orientale telle que Tahia la pratiquait montre au contraire la danseuse de plus en plus solidement campée au sol, jusqu’à s’y ancrer, bougeant à peine et n’exprimant jamais, en tout état de cause, quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à la légèreté qu’une étoile de ballet classique, homme ou femme, s’efforce de suggérer. La verticalité de la danse de Tahia évoquait une séquence de plaisirs horizontaux, mais, paradoxalement aussi, cette nature insaisissable et cette grâce qui ne peuvent s’épanouir que sur une surface plane. Sa chorégraphie s’inscrivait de toute évidence dans un décor arabo-musulman, mais s’en démarquait pourtant totalement et alimentait même une sorte de tension constante par rapport à ce cadre.
(...)
La vie et la mort de Tahia symbolisent l’incroyable volume de tout ce qui, dans notre vie de cette région du monde, n’a tout simplement jamais été ni enregistré ni préservé, malgré les vidéos qui vont sans doute se multiplier, malgré les rétrospectives de ses films, les cérémonies commémoratives où l’on fera son éloge comme on a pu faire celui de sa grande rivale, Samia Gamal, dont le cortège funéraire fut interdit il y a quelques années. Il n’existe aucune filmographie détaillée de Tahia, aucune bibliographie, aucune biographie digne de ce nom, et il n’y en aura probablement jamais. De tous les pays arabes que je connais, aucun ne dispose d’archives d’Etat en propre, de bureau des archives publiques, ni de bibliothèque officielle, pas plus qu’ils n’exercent de contrôle adéquat sur leurs monuments, leurs antiquités, l’histoire de leurs villes, les œuvres d’art architectural particulières telles que les mosquées, les palais, les écoles. Cette prise de conscience ne saurait en rien susciter un sentiment moral, mais évoque une histoire fourmillante, qui déborde de la page, s’étend au-delà du champ visuel et auditif, en devient hors de portée, largement irrécupérable. Pour les Arabes d’aujourd’hui, Tahia me semble incarner cette vie poussée au-delà des limites. »
Edward Saïd, hommage à Tahia Carioca, Al-Ahram Weekly / Courrier International, 10 novembre 1999

« Depuis une semaine, le commentaire le plus intriguant des plus fervents admirateurs de Rosetta est toujours le même : c’est beau mais fatigant. Or, ce "mais" est de trop. Le beau est fatigant. L’art est toujours exténuant. Et c’est même à cette exténuation et à cette fatigue qu’on distingue qu’il y a art ou pas. Si fatiguer veut dire fatiguer la salade de nos petits malheurs, si exténuer signifie amaigrir la mauvaise graisse des passions tristes, alors c’est sûr, on sort de "l’épreuve" Rosetta avec quelques kilos de mauvaise humeur en moins et quelques appétits de vie en plus. Pour ceux qui vont au cinéma comme on va aux putes (et pourquoi pas quand tant de films nous racolent en bas résilles ?) Rosetta risque d’être plaisant mais expéditif. Pour ceux qui expérimentent qu’au cinéma comme dans la vie, le désir n’a rien à voir avec le plaisir et sa satisfaction, la turbulente Rosetta devrait ouvrir des horizons aventuriers. »
Gérard Lefort, Libération, 6 octobre 1999

« La bibliothèque du docteur Gombrowicz sentait le darjeeling, le papier et un mélange de parfums fleuris, provenant des bacs Riviera débordant d’iris, de roses, d’orchidées et d’une bonne dizaine d’espèces tropicales rarissimes, disposés un peu partout dans la pièce. Nous étions au centre du "second cerveau" du docteur, selon le nom qu’il lui donnait. Un vaste parallélépipède de murs blancs, avec poutres apparentes, et recouvert de rayonnages aux teintes fauves, chaudes et sécurisantes. Des milliers de livres nous cernaient, formant une barrière protectrice érigée entre nous et l’univers. Seul un petit halogène aux lignes spartiates diffusait une nuée de lumière ambrée. Le chatoiement soyeux de cette lumière sur les corolles de fleurs contrastait avec la monochromie affirmée des livres aux teintes austères, fauve, blanc, noir, brun qui se répétait tout autour de nous. D’après Stefan Gombrowicz, seuls les fleurs et les livres mériteraient de survivre à l’espèce humaine, comme contribution au développement de la vie dans ce petit coin de l’univers. »
Maurice G. Dantec, Les Racines du mal

« C’est très subjectif mais quand je vois Rosetta, je ne suis pas déprimé ; je suis, au contraire, excité et euphorique. C’est peut-être un film pessimiste en certaines de ses observations sociales mais sûrement pas en termes de cinéma. (...) Un film qui critique certains aspects de la nature humaine ou de la société n’est pas pessimiste dans la mesure où le cinéaste trouve l’énergie et le désir d’apporter un commentaire. Le vrai pessimisme serait de ne pas faire ce genre de film, de penser que c’est sans espoir et qu’il ne reste rien à dire. D’une certaine manière, le cinéma hollywoodien est le plus pessimiste parce qu’il évite tout commentaire sur la réalité et affirme que discuter ne sert à rien, qu’il vaut mieux s’évader et gagner de l’argent. »
David Cronenberg, président du jury, revenant sur le palmarès du festival de Cannes, Libération, 2 juin 1999

« Les vrais acteurs feraient mieux de se méfier du vedettariat télévisuel dans lequel certains d’entre eux s’abîment, ou des top models qui font les acteurs... »
« A partir du moment où Emilie [Dequenne] est venue au casting et où nous l’avons choisie, elle est devenue une actrice professionnelle : elle a eu des contrats, un salaire, et nous avons tourné dans le cadre d’une vraie production. Elle est comédienne et c’est son premier film, voilà la vérité. Sans parler de son véritable, de son profond désir d’être actrice... »
Luc et Jean-Pierre Dardenne à propos du débat autour des acteurs « non-professionnels » récompensés à Cannes, Libération, 2 juin 1999

« Le minoritaire, c’est ce qui concerne tout le monde et le majoritaire, ce qui ne concerne personne. »
Jean-Luc Godard

« Mon plaisir est le seul critère que je reconnaisse. Mais je n’ai pas codifié ça, c’est venu tout naturellement. Les copains me considéraient comme un peu snob, ou cinglé, me disant : "Tu ne peux pas aimer à la fois telle chose et telle autre." Je culpabilisais, mais je n’allais tout de même pas changer d’avis ! »
Alain Resnais, Les Inrockuptibles, 12-18 novembre 1997

« Parfois, je lisais des jours entiers et même des semaines entières. C’était comme si ces longues lectures s’imposaient d’elles-mêmes. La lecture peut être une telle jouissance ! Devant la fenêtre, le soir, le midi et le matin surgissent grands et beaux comme un enfant. Tu es assis, tu es comme dans un rêve ; le monde est à moitié clair, à moitié sombre. Il te semble que par la lecture, tu es devenu tout esprit, mais tu n’en es pas moins vivant. C’était assez curieux. Je jouais à l’oriental, j’étais sûrement très paresseux et il faut donc que je me réprimande. On ne devrait jamais s’isoler, jamais être indolent, mais toujours vaillant et plein d’entrain sur ses deux jambes et avec sa tête, et vivre parmi ses semblables, l’âme et l’esprit éveillés pour agir dans la vie. »
Robert Walser, « Regard sur le passé », Retour dans la neige

« La religion n’est rien d’autre qu’une mauvaise forme de théâtre, car elle déclare être vraie. »
« Moi, je suis contre l’irrationnel, l’idéologie réactionnaire, raciale, le mythe de la résurrection. Il est extrêmement irrationnel de dire qu’une race a moins de valeur qu’une autre. Mais la rationalité en elle-même n’a pas de valeur. Elle peut servir à construire un hôpital comme à fabriquer une bombe H. Notre véritable humanité réside dans notre aptitude à l’imagination. Nous sommes humains parce que nous avons l’imagination. »
Edward Bond, propos recueillis par Y.B., Le Nouvel Observateur, 19 novembre 1998

« J’ai remarqué que souvent, quand on rencontre un mot, on le retrouve une autre fois dans la journée. Par exemple je parle de jacuzzi avec un copain parce qu’on doit aller à l’Aquaboulevard. Quelques heures plus tard, je regarde à la télé un dessin animé où il est question de jacuzzi... Quand même, c’est étonnant. »
Alexandre, 11 ans, Télérama, 9 décembre 1998

« Les nouveaux philosophes ne sont pas des intellectuels, ce sont des escrocs. Rappelez-vous comment j’ai pris BHL en flagrant délit d’erreur et de plagiat. A l’époque, l’une de mes élèves hellénistes, Maria Daraki, m’avait alerté après avoir lu son livre, Le Testament de Dieu. Je l’ai donc lu aussi et suis tombé sur des choses qui m’ont fait littéralement dresser les cheveux sur la tête. Par exemple, la déposition d’Himmler au procès de Nuremberg, alors qu’il s’était suicidé après son arrestation le 23 mai 45 ! Pourtant, la presse adulait BHL, Poirot-Delpech parlait de son "éblouissante érudition normalienne"... J’ai envoyé à une dizaine de journaux un petit catalogue de ces énormités : Robespierre militant anti-Dieu alors qu’il avait organisé le culte de l’Etre suprême... Le directeur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, me téléphone et me dit qu’il ne peut pas le publier parce que je l’avais envoyé à d’autres journaux ; finalement il l’a publié avec une réponse de BHL me traitant de flic. Moi, j’avais gardé quelques munitions, dont la plus belle était une interview donnée par BHL à Gilbert Comte dans laquelle il avait en fait emprunté quelques phrases de Saint-John Perse. Ce qui m’a frappé, c’est qu’une personne qui avait commis de telles choses pouvait survivre comme intellectuel. On était vraiment dans ce que Castoriadis appelait "l’industrie du vide". »
Pierre Vidal-Naquet aux Inrockuptibles, 30 septembre 1998

« C’est une poésie où les martyrisés reviennent partager la souffrance de ceux qui les pleurent. Son temps est en dehors du temps, en un lieu où les souffrances se rencontrent et dansent et où les affligés prennent rendez-vous avec ce qu’ils ont perdu. »
John Berger parlant de la poésie de l’Argentin Juan Gelman, in « Frida Kahlo, la peinture à même la peau », Le Monde diplomatique, août 1998

« Une des premières difficultés, devant la situation d’abondance [de l’offre culturelle] où nous nous trouvons, c’est de ne pas se laisser submerger, de ne pas se laisser guider par des pressions extérieures subtiles et séduisantes, mais de se mettre à l’écoute de soi. Sans narcissisme, sans complaisance. Juste décider de ce qu’on va faire en fonction de notre curiosité, d’un élan qui nous est propre, de notre inquiétude, aussi. Il faut assumer notre goût, même s’il est fragile. »
« Notre époque se complaît à croire que tout ce qui est de l’ordre du plaisir vient tout seul, alors que le travail, l’effort, sont toujours pénibles. Comme s’il fallait encore attendre la fin du cours ennuyeux pour jouir de la récréation. Ce sont des idées d’enfants ! Il y a ainsi une insistance publicitaire sur des lieux de vacances très éloignés, exotiques, comme si le quotidien était si pénible que, pour rompre avec lui, il faille absolument aller le plus loin possible. En réalité, passer du travail au loisir, trouver le plaisir dans l’effort, c’est une question de bonne distance et de souplesse affective et intellectuelle. Je ne pense pas du tout que ça ne touche qu’une élite. Chacun peut voir autour de lui des gens heureux qui vivent ainsi. Il s’agit juste d’être capable d’avoir un rapport vrai avec soi-même, qui s’acquiert en laissant advenir les choses sans précipitation, en se tenant à l’écoute de ses curiosités. »
« Il faut défendre ses espaces clandestins. Beaucoup de luttes, de guérillas commencent comme ça. On nous offre un certain nombre de loisirs, une certaine vision de la consommation culturelle, on n’est pas obligé de jouer le jeu, d’être là où on nous attend. On peut profiter des vacances pour se reconstituer un univers à soi, se demander : qu’est-ce qui me plaît ? Certainement pas un circuit balisé. (...)
« Une vraie rencontre avec l’art se fait à l’intersection de deux solitudes. »
Chantal Thomas, auteur de Comment supporter sa liberté, à Télérama, 2 septembre 1998

« Le théâtre est un combat sans ring où les coups de poing alternent avec les caresses, où l’arbitre a été garrotté et où presque tous les coups sont permis. On se comporte en véritables fils de putes ! »
Dario Fo, Le gai savoir de l’acteur

« Il existe, dans toute société, des personnes qui ont une sensibilité inhabituelle au sacré, une aptitude peu commune à réfléchir sur la nature de leur univers et sur les règles qui gouvernent leur société. Il y a dans toute société une minorité de gens qui, plus que l’ordinaire de leurs contemporains, sont en état de recherche et qui désirent se trouver en communion fréquente avec des symboles plus généraux que les situations concrètes immédiates de la vie quotidienne, et dont les références sont lointaines dans le temps comme dans l’espace. Cette minorité exprime le besoin d’extérioriser sa quête sous forme de discours oral et écrit, d’expression poétique ou plastique, de souvenirs ou d’ouvrages historiques, d’accomplissements de rites et d’actes cultuels. Ce besoin intérieur d’aller au-delà de l’écran de l’expérience concrète immédiate marque l’existence des intellectuels dans toute société. »
Edward Shils, cité par Edward W. Saïd, Des intellectuels et du pouvoir

« Bref, le théâtre civique, depuis qu’il y a la télévision, est bon à jeter. Personnellement, je me permets d’affirmer que cette façon de penser s’ajuste parfaitement aux intérêts des autorités constituées et réalise la grande espérance du pouvoir, économique, institutionnel, multinational, religieux et politique, y compris celui des partis. Le pouvoir fait l’impossible pour que peu à peu les gens perdent l’habitude d’user de leur imagination, évitent l’effort de voir les faits autrement que selon le point de vue des mass media, renoncent au plaisir de critiquer, abandonnent toute distance raisonnée par rapport au quotidien et surtout ne se mêlent pas de le représenter synthétiquement. »
Dario Fo, Le gai savoir de l’acteur

« Il faut savoir et voir et il faut voir et savoir. Indissociablement. Si vous allez à Auschwitz sans rien savoir sur Auschwitz et l’histoire de ce camp, vous ne voyez rien, vous ne comprenez rien. De même, si vous savez sans y avoir été, vous ne comprenez pas non plus. Il fallait donc une conjonction des deux. »
Claude Lanzmann à propos de Shoah

« Ce n’est d’ailleurs pas toujours l’art qui nous sauve. Parfois ce sont des oeuvres très petites qui ont des résonances en nous. Moi, j’aime beaucoup les romans de gare... »
Pascale Ferran, Télérama, 4 mai 1996

« Quand vous savez que vous coulez, vous ne coulez pas. »
Cité par Igal Sarna, actes du colloque Être journaliste en Méditerranée, revue Méditerranéennes

« De Buñuel dans ses entretiens avec son vieux pote Max Aub : Le principal, c’est d’emmerder les autres, sans qu’ils sachent pourquoi. »
Michel Boujut, La promenade du critique

« La littérature est ma raison de vivre, c’est la première chose à laquelle je pense le matin en sortant de mon lit. Je suis aussi la première à penser que cela ne vaut pas grand chose. (...) Je ne crois plus que la littérature puisse changer le monde. Hygiène de l’assassin a été écrit sur le postulat que le lecteur n’existait pas, que personne ne lisait vraiment. Si les gens lisaient vraiment au sens que je donne à la lecture, ils seraient tellement changés que le monde en serait différent. Moi, tous les livres me changent. Les plus mauvais comme les meilleurs. Je suis très perméable à la lecture. »
Amélie Nothomb à Trafic Influences (Liège), janvier-février 1996

« Certaines lettres publiées dans Télérama 2464 suintent la haine des intellectuels, traités de nantis, accusés de vivre en vase clos sur une autre planète que celle où les masses se débattent, de parler sans savoir et de faire ainsi le jeu de l’extrémisme de droite. Rien de rationnel là-dedans, et, bien sûr, cela fait froid dans le dos. Tous les régimes fascistes ou seulement autoritaires s’en prennent aux intellectuels, prétendument inutiles et parasites, sachant bien quel puissant facteur de réveil des consciences ils pourraient être. Je dis bien pourraient, mais ne sont pas, hélas ! Cette haine, qui s’accompagne de la haine de la culture en général, si elle est incontestablement d’inspiration d’extrême-droite, voire fasciste et donc, à ce titre, un piège mortel, n’est souvent que l’expression déformée de l’angoisse et de l’absence totale de perspectives ressenties par des millions d’hommes. »
Jean-Philippe Chaillous, courrier des lecteurs de Télérama, 14 mai 1997

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Périphéries, janvier 2007
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